« Pour moi, c’était un tournoi normal. »

Eva Perles est une jeune joueuse de 9 ans. Elle a poussé il y a trois ans la porte du club Marseille Échecs. Depuis ses débuts dans la compétition, elle participe uniquement aux championnats jeunes mixtes. Elle s’est qualifiée en 2018 pour les championnats de France poussins mixtes.

Je remercie chaleureusement Eva et son père, Michel, d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Aude : Bonjour Eva, peux-tu nous raconter comment tu es arrivée aux échecs et dans un club ?

Eva : Je cherchais une activité et un jour, en allant chez le docteur, on est passés juste devant le club. On s’est dit que je pouvais essayer. J’ai bien aimé et je suis restée. On m’a demandé au fur et à mesure de jouer des petits tournois, et ensuite j’ai bien voulu faire un grand tournoi, pour essayer. Et ça aussi j’ai bien aimé.

Aude : Tu es la seule à jouer aux échecs dans ta famille ?

Eva : Oui. Ensuite, mes parents ont appris les bases et quelques petits trucs.

Eva1 - Copie
Festival international de Marseille Échecs (décembre 2017)

 

Aude : Parmi tes premiers tournois, il y avait les championnats jeunes départementaux (où tu jouais en mixte). Est-ce que tu connaissais avant de participer le système qui sépare d’un côté un championnat mixte avec quasiment que des garçons et de l’autre un championnat féminin avec quasiment toutes les filles ?

Eva : Non, au début je ne savais pas. On m’a dit où je devais aller et j’ai simplement joué. Pour moi, c’était un tournoi normal.

Aude : Et ça ne t’a pas paru bizarre, après, d’apprendre que les filles des autres clubs1 jouaient dans un autre tournoi ?

Eva : Non pas vraiment.

Aude : Que disent les personnes que tu rencontres dans les championnats (les autres joueurs, les parents, etc.) à propos du fait que tu joues en catégorie mixte ? Vous en parlez ou pas du tout ?

Eva : Non, on n’en parle pas vraiment. A un moment je me suis demandé pourquoi les garçons ne jouent pas avec les filles. Pourquoi il n’y avait pas quelques garçons qui jouaient avec les filles. Après je me suis dit « ça doit être comme ça, c’est juste normal ».

Aude : Et si on mélangeait tout le monde demain, tu trouverais ça bizarre ?

Eva : Non.

Aude : Pour la première fois cette année, tu t’es qualifiée pour le championnat de France. Et tu étais cette fois vraiment la seule fille (contrairement aux championnats départementaux, par exemple, où d’autres filles de ton club jouaient aussi en mixte). Est-ce que ça a fait une différence, d’être la seule ?

Eva : Non. Dans les autres tournois, je ne jouais jamais contre les autres filles, parce qu’on était très nombreux en mixte. Donc pour moi ça ne changeait rien.

Aude : Et est-ce que tes adversaires étaient surpris au championnat de France de te rencontrer ? Est-ce qu’ils t’ont dit quelque chose ?

Eva : Quelques-uns étaient surpris, oui, et d’autres trouvaient ça plutôt normal. Certains m’ont parlé parfois un peu méchamment, ou m’ont ignorée. Mais d’autres ont dit « C’est une fille, voilà, ça ne change rien ».

Aude : Michel, quand tu accompagnes ta fille dans les championnats, est-ce que tu entends des discours – positifs ou négatifs – à propos de la séparation ou de la mixité ?

Michel : Pas vraiment. Mais il y a quand même beaucoup de surprise quand ils s’aperçoivent qu’Eva joue avec les garçons. De la surprise et de la curiosité. Mais je n’ai pas ressenti de rejet. Au contraire il y a parfois des réflexions de parents qui se disent « ah oui, ce serait peut-être bien que, plus tard, ma fille joue avec les garçons. » Souvent, [ils disent ça] par rapport au niveau, pour qu’elles augmentent leur niveau. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas, on n’est pas joueurs d’échecs dans la famille, mais ce qu’il se dit entre parents c’est que le niveau est meilleur chez les garçons que chez les filles en général. Parce qu’ils sont plus nombreux, que c’est beaucoup plus difficile de se qualifier. Et si on se qualifie on rencontre donc des joueurs au niveau assez élevé.

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Championnat de France poussins (Agen, avril 2018)

 

Aude : J’entends aussi souvent des commentaires positifs sur la participation des filles aux championnats mixtes. Alors comment se fait-il qu’il y ait si peu de filles à faire ce choix ?

Michel : Dans notre cas, et pour revenir au début de la conversation… Au tout début, quand Eva a commencé à vouloir jouer des compétitions, c’est Laurie Delorme [présidente du club Marseille Échecs] qui m’a appelé et elle m’a dit que la politique du club, c’était de faire jouer les filles, surtout les plus jeunes, avec les garçons en catégorie mixte aux championnats des Bouches-du-Rhône. Donc toutes les plus jeunes jouent en mixte.

Au début, elles n’étaient pas beaucoup. Elles commencent à être de plus en plus nombreuses. Et avec des joueuses qui sont de plus en plus motivées pour faire de la compétition.

Aux championnats de France d’avril, elles étaient deux joueuses du club, Eva en mixte (poussins) et Julia en filles (benjamines). Et en discutant avec la maman de Julia, j’ai eu l’impression que l’idée était en train de germer, que sa fille pourrait jouer aussi avec les garçons.

Aude : Tu penses que le rôle des clubs est important pour aider leurs jeunes joueuses dans ce choix ?

Michel : Les clubs ont un rôle à jouer dans le choix des jeunes joueuses à participer aux championnats mixtes, notamment en sensibilisant les joueuses et parents des leur arrivée au club. Il serait intéressant que jeunes joueurs et joueuses qui s’entrainent et jouent ensemble tout le long de l’année aient des objectifs communs lors des championnats individuels.

Aude : Donc contrairement à Eva, qui a toujours joué en mixte, il s’agirait pour Julia de passer de la catégorie féminine à la catégorie mixte…

Michel : En fait, Julia et deux autres jeunes filles du club viennent d’autres clubs, où elles jouaient en catégorie féminine. Alors je ne sais pas quel est le discours entre ces familles et Marseille Échecs, mais il est possible qu’elles passent en mixte.

Mais c’est vrai qu’à partir du niveau régional, Eva est la seule fille à jouer avec les garçons. Pour nous, vu que depuis le début c’est comme ça, que toute l’année elle joue avec des garçons, elle joue en équipe jeune aussi avec des garçons, cette différence garçons / filles, on ne la remarque pas. Pour Eva c’est naturel.

Cette année, le championnat de France a été assez difficile pour elle. Le niveau était très élevé. Elle a eu plusieurs défaites au début. Elle était très contente de cette participation (elle s’était fixé le championnat de France comme objectif) mais c’est vrai que le bilan du championnat de France pour cette année n’était pas terrible. Alors je lui ai demandé, juste après le championnat, sur la route du retour : « Est-ce que tu voudrais tenter le championnat féminin ? ». Elle a été catégorique, elle a dit « Non, non, je veux continuer avec les garçons. ».

La compétition, ça lui plaît, elle a envie de progresser, elle a envie de se confronter à des joueurs de sa catégorie qui jouent bien.

Aude : Eva, est-ce que le fait de faire un championnat de France difficile, avec des joueurs en face très forts, est-ce que ça t’a donné envie de progresser d’autant plus ?

Eva : Oui, oui. J’essaie de progresser le plus, quand j’ai le temps et que je ne suis pas fatiguée. Quand je travaille, je veux pouvoir mémoriser des choses pour passer à autre chose la fois d’après.

Aude : Est-ce que tu aimerais qu’il y ait plus de jeunes filles dans la catégorie mixte ?

Eva : Oui, si j’étais amie avec elles et qu’on jouait dans le même tournoi, on pourrait s’encourager, parler de nos victoires et de nos défaites. C’est plus facile de parler avec quelqu’un dans la même catégorie que toi.

Michel : Avec mon regard de papa, je trouve que c’est dommage qu’Eva soit la seule fille à jouer en mixte. Eva, c’est une joueuse d’échecs, mais c’est aussi une enfant. Elle a sympathisé avec une petite fille, qui logeait dans le même camping, et elles parlaient d’échecs et d’autres choses. Donc c’est un peu un regret [qu’elle ne retrouve pas d’autres filles dans les mêmes championnats qu’elle]. Et c’est dommage aussi qu’il y ait cette cassure entre les garçons et les filles dans un sport où ce n’est pas justifié.

Je pense que ce serait un plus pour Eva d’être avec d’autres filles comme elle, qui joueraient en mixte.

Aude : Mais quand tu discutais avec les autres parents qui envisageaient la mixité pour leur propre fille, est-ce que ce n’était pas une crainte pour eux, que leur fille se retrouve seule parmi les garçons ?

Michel : Non, je n’ai pas ressenti cela. J’ai plutôt senti qu’Eva était peut-être un exemple à suivre. Parce qu’elle est toute petite, et elle est tout à fait capable d’aller dans une compétition avec des garçons, avec un niveau assez élevé. Et elle y va, elle joue, elle fait ce qu’elle peut, sans trop se poser de question. Elle joue simplement contre l’adversaire en face d’elle – peu importe qui c’est.

Aude : Eva, quel est ton prochain objectif ?

Eva : Aller au moins jusqu’au championnat de France pour tenter une nouvelle chance.

Aude : Est-ce que vous voudriez encore dire quelque chose ?

Michel : Une chose que je voulais ajouter, c’est que tous les gens du club, les dirigeants, les parents, et même les jeunes joueurs plus grands, ils sont tous derrière Eva. Elle est entourée et soutenue par beaucoup dans le club. Elle est totalement intégrée dans son club. Ce qui est bien pour une jeune fille qui joue en mixte, ça fait aussi avancer le sujet de la mixité.

  1. Dans la catégorie d’âge d’Eva, toutes les joueuses de Marseille Échecs participaient au championnat mixte. []

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