Nous abordons le dernier volet des commentaires du plan de féminisation de la FFE, en nous intéressant aux sujets des instances dirigeantes, de l’arbitrage, de l’encadrement technique et du haut niveau. Dans ces parties, on retrouve le plan précédemment décrit : un état des lieux puis des objectifs déclinés en actions, avec des critères d’évaluation, un calendrier et un descriptif. Comme nous l’avons déjà souligné, nous sommes heureuses de constater que les bilans ne sont plus de la pure langue de bois dans le style ‘tout va très bien Madame la marquise’, mais des constats francs et honnêtes, en bien comme en mal ; les objectifs sont le plus souvent pertinents et le fait d’imposer un calendrier et des critères d’évaluation est une méthode rigoureuse que nous saluons, en attendant de la voir appliquée. Cependant, en plusieurs points, il y a encore, selon nous, des progrès à faire et des tournants à prendre. Ci-dessous, nous reprenons le plan du texte de la FFE en donnant notre opinion sur les points qui nous paraissent importants :
« Féminisation et sensibilisation des instances dirigeantes »
L’objectif unique de cette section s’intitule « renforcer l’accès aux responsabilités des femmes », une façon un tantinet alambiquée de s’exprimer. Pour augmenter le nombre de femmes dans les instances dirigeantes de la FFE, qui ne président que 10,8% des clubs, par exemple, plusieurs actions cherchent à les former et les informer : organiser un séminaire exposant la réalité de la vie de président.e de club, tout comme la constitution d’un réseau féminin de dirigeantes sont de bonnes initiatives qu’il aurait été intéressant de détailler dans leurs aspects pratiques : où aura lieu le séminaire et qui va payer pour les billets de train ? Ou bien sera-t-il dématérialisé ? D’après le calendrier publié, il reste encore 6 mois pour ce séminaire, gageons que nous vous en reparlerons. Diffuser l’information de formation des CROS et CDOS ou dans le cadre de l’adhésion de la FFE à Fémix’Sports (association dont les objectifs sont la féminisation du sport et l’augmentation de la mixité) est une mesure simple mais certainement efficace.
Les deux actions suivantes concernent la communication. En bonne logique, il ne s’agit en effet pas uniquement de former les femmes à leurs futures responsabilités de dirigeantes, il faut aussi le faire savoir et mettre en valeur celles qui se sont lancées dans l’aventure. Ainsi, l’action 4 « Remise des Trophées » doit récompenser : « la meilleure dirigeante, le meilleur projet de développement de la pratique auprès des femmes, le meilleur club féminin ». Comme cette action doit avoir lieu les 29/30 juin 2019, nous ne pouvons évidemment rien en dire pour l’instant, mais nous espérons que les critères d’attribution de ces trophées seront clairement définis et qu’ils récompenseront autre chose que la meilleure confiture d’une présidente de club. Enfin, l’action 5, consistant à « valoriser les actions des dirigeantes par une présentation mensuelle » « en une du site fédérale », n’a pas encore vu le jour. Nous attendons avec impatience les premiers articles – peut-être prévus pour septembre ?
« Féminisation des fonctions d’arbitrage et d’encadrement technique »
Notons en premier lieu que le texte utilise le mot arbitre aussi au féminin (bas de la page 18 et bas de la page 23) : c’est une bonne chose, n’en déplaise au dictionnaire. Le bilan met en évidence la faible proportion de femmes dans l’encadrement technique – proportion d’autant plus faible que le niveau du diplôme est élevé : il y a ainsi beaucoup plus d’initiatrices que d’entraîneuses. A noter qu’il faut un élo minimum de 1800 pour avoir le premier degré d’entraîneuse ce qui limite de facto le nombre de candidates potentielles. Ceci justifie d’autant plus la nécessité d’augmenter le niveau moyen des femmes. Nous nous interrogeons toutefois sur l’analyse qui est donnée dans ce bilan. Les chiffres fournis le sont pour un instant précis et ne permettent pas de déduire une « tendance » quelconque. Dans le même paragraphe, on trouve l’affirmation selon laquelle « les jeunes filles ont plus de facilité à rejoindre les clubs lorsque l’initiateur est une femme » : nous voulons bien le croire, mais quelle est l’étude permettant d’affirmer cela ?
A propos de l’arbitrage, nous partageons le constat d’un domaine encore majoritairement masculin et d’une tendance encourageante avec les arbitres jeunes dont plus d’un tiers sont des femmes mais nous n’avons pu nous retenir de sursauter en lisant, dans le Caïssa Magasine #4, le « coup de cœur : arbitre à 12 ans » consacré à Audeleen Lebhertz : en effet, le seul avenir qui est souhaité à cette jeune arbitre est d’arbitrer les compétitions féminines. Qu’en est-il de l’objectif du plan de féminisation d’avoir la parité en arbitrage ? A l’inverse, la présentation par la DNA de la même arbitre jeune est exempte de tous ces stéréotypes féminins. En particulier elle y exprime son ambition de devenir arbitre Fide alors que l’article Caïssa Magasine semble l’enfermer dans un devenir d’arbitre de compétitions féminines.
Que ces regrets ne nous empêchent pas de souligner que nous sommes particulièrement enthousiastes à l’idée d’une stricte parité dans l’arbitrage des championnats nationaux, mise en place dès août 2019.
« Promouvoir et accroître la réussite des femmes dans le haut niveau »
Dans cette dernière partie, le double constat d’une équipe de France féminine « vieillissante » et d’une « nouvelle génération qui tarde à se montrer » nous parait correct, malheureusement, mais cela ne nous semble pas fondamentalement différent de la situation dans d’autres pays européens (Allemagne, Angleterre, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pays Bas, Suisse), si l’on en juge par la moyenne d’âge et l’écart type pour les joueuses ayant participé aux Olympiades 2018 (cf fichier excel en accès). Toujours dans ce bilan, il est fait mention d’un « pôle féminin (…) mis en place en 2018 », mais nous n’en avons trouvé aucune trace sur le site fédéral : sans doute une recherche incomplète de notre part (?).
La première action envisagée porte sur « la détection des jeunes filles ainsi que leur perfectionnement » via le pôle féminin national – dont nous avons déjà signalé le flou qui l’entoure – et des stages nationaux à partir de U8. C’est à l’évidence une bonne initiative, mais d’une part la procédure de choix des participantes n’est vraiment pas claire et d’autre part la description nous parait plus relever de la sélection des meilleures joueuses actuelles que de la détection de potentielles futures fortes joueuses. En revanche, la déclinaison du concept de ces pôles au niveau régional, qui implique un travail de longue haleine sera doute efficace bien que certainement amené à rester plus à l’ombre que les grands événements ponctuels.
En ce qui concerne les primes des joueuses de l’équipe de France, nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait « tendre » vers une égalité H/F plutôt que de simplement la réaliser. Les femmes devraient-elles s’habituer progressivement à l’égalité salariale ? Si le budget consacré à ces primes n’augmente pas, il faudra simplement expliquer à ces messieurs qu’ils toucheront désormais la même chose que les dames. Par ailleurs pourquoi le montant de ces primes n’est-il pas simplement mentionné ?
On en vient ensuite à la communication concernant le haut niveau. A nouveau, il manque le processus et les critères concernant l’attribution des trophées. Nous sommes bien sûr contentes des néologismes « marrainer » et « marrainage », qui apparaissent trois fois dans le texte, mais chassez le naturel, il revient au galop, ces marraines parrainent des actions (voir le tableau de la page 22). Le fait de sensibiliser les professionnelles à la reconversion à l’issue de leur carrière de joueuse est très important. C’est aussi cela qui permet de proposer plus sereinement ce type de carrière à des jeunes prometteuses. Il faut absolument éviter que la professionnalisation soit synonyme d’impasse dans l’esprit des joueuses et de leurs parents.
En conclusion, mentionnons simplement que nous retrouvons dans les rapports « secteur jeune » et « secteur féminin » destinés à la préparation de l’AG de la FFE les mêmes points positifs et négatifs soulevés dans ce texte. Ainsi, le rapport du secteur jeune analyse les résultats des jeunes joueuses avec objectivité, notant en conclusion qu’il « est nécessaire de mettre rapidement les moyens sur le développement de la pratique féminine. Nos résultats chez les jeunes filles sont particulièrement alarmants et il apparaît qu’aucune d’entre elles ne sera capable de prendre la relève dans l’équipe de France féminine à court terme. » A côté de cela, le rapport du secteur féminin ressemble plus à de la propagande, avec grand renfort de points d’exclamation, mais finalement peu de regard critique vis-à-vis de la situation actuelle et, partant, peu d’ambition pour nos joueuses. Il nous paraît aussi tout à fait significatif que la description dans ce rapport de l’association Femix’Sport ait exclu toute mention de la mixité, alors que c’est l’objectif même de cette association, à l’instar d’Échecs & Mixte !
Isabelle Billard & Aude Soubrier
Une opinion sur “Féminiser la FFE : encore un EFFort !”