Souvent femme varie, bien fol(le) qui s’y fie

Cette célèbre phrase d’un macho avant la lettre, le galant (et coureur de jupons) François Ier (merci à ceux et celles qui ont signalé mon erreur d’attribution de ces deux vers!) qui me sert de titre est malheureusement parfaitement en adéquation avec l’actualité « féminine » de la FFE.

Il ne vous aura sans doute pas échappé que samedi 30 octobre 2020, en matinée, a eu lieu l’AG de la FFE. Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les résultats détaillés, je voudrais simplement disséquer un des rapports soumis au vote, celui de la DNEF (Direction Nationale des Echecs Féminins), que vous pouvez télécharger ici.

Commençons par quelques précisions sur la période concernée par les rapports soumis aux votes et les moments où ces différents rapports ont été bouclés. Il fut un temps où l’AG était prévue le 6 juin 2020, ce qui a naturellement conduit les directions nationales et les commissions techniques à préparer leurs rapports pour cette date. Par la suite, pour cause de pandémie, la date du 6 juin a été repoussée au 26 septembre et finalement, l’AG a eu lieu le 30 octobre. Si l’on regarde le bandeau bleu placé en haut de page des rapports, ils sont tous datés du 26 septembre 2020 et couvrent statutairement l’année calendaire 2019, pendant laquelle le covid 19 n’a pas sévi. Toutefois, le rapport moral a été complété en 2020, notamment pour parler de l’impact de la pandémie, ce qui est parfaitement normal et il semble que la dernière modification du rapport moral se situe entre le 6 juin et le 26 septembre 2020. Dans le rapport financier, le bilan couvre l’année calendaire 2019 tandis que le budget prévisionnel a naturellement été révisé suite au COVID qui a beaucoup changé la donne mais, apparemment, ces révisions ont été arrêtées au 31 août 2020. Ainsi, tous les rapports soumis au vote portent sur l’année calendaire 2019 mais des modifications ont pu être apportées au moins jusqu’à fin août 2020 à ces textes.

Il n’y a pas de trame officielle pour rédiger un rapport de Direction Nationale, ce qui fait que ce qui doit s’y trouver ou pas est affaire de sentiment personnel. De mon point de vue, il est important d’y trouver un récapitulatif des résultats sportifs nationaux concernant les femmes mais un tel rapport doit aussi et surtout faire le point des actions menées durant l’année calendaire concernée, ainsi que des projets enclenchés ou poursuivis. Il serait également de bon ton qu’un bilan des engagements précédemment pris soit présenté, que ces engagements aient été suivis d’effet ou pas. Toujours de mon point de vue, un petit bilan moral, affichant un peu de hauteur de vue, ne serait pas de trop en conclusion.

Venons-en aux 5 pages qui constituent le rapport de la DNEF. Je compte au bas mot la moitié du document pour rappeler les résultats sportifs, soit 2 pages et demi sur 5. Ceci est nécessaire et il ne s’agit pas de réduire cette partie en omettant des résultats mais, par comparaison, la part dédiée à autre chose qu’une simple comptabilité minutieuse des faits sportifs apparaît plutôt chiche alors que ce serait le lieu où s’exprime l’âme de ce que devrait être la DNEF, bref tout ce qui demande de l’implication, de la volonté, de l’engagement. Concentrons-nous maintenant sur les deux pages et demi du début de rapport, qui démarrent par un excellent premier paragraphe (toutes les citations de ce rapport, du plan de féminisation ou des autres rapports soumis aux votes de l’AG d’octobre 2020 sont entre guillemets et en italique).

« La saison 2018-2019 a été marquée par des engagements forts au niveau des programmes de développement de la pratique féminine et par la publication du premier plan de féminisation de la FFE qui vise à établir une feuille de route pour les années à venir, en fonction des directives ministérielles et à partir d’une étude très précise de la situation actuelle. ». Rappelons que E&M ! était enthousiaste à la lecture de ce rapport et que nous en avons fait un commentaire détaillé et très majoritairement élogieux sur ce site. Nous sommes donc entièrement d’accord avec l’expression « engagements forts ». Seulement voilà, de l’engagement à la réalisation, il y a un pas, voire plusieurs. Rappelons que ce plan de féminisation proposait 4 thèmes (développement de la pratique, féminisation des organes de direction, féminisation de l’arbitrage, soutien du haut niveau féminin), sous-tendus par des objectifs qui se déclinaient en actions, le tout accompagné d’un calendrier précis s’étendant jusqu’en 2021, (pour un plan de féminisation couvrant la période 2019/2024, JO obligent) et de critères d’évaluation de leur réussite.

                Si nous comparons les annonces du plan de féminisation pour l’année calendaire 2019 avec les réalisations telles que décrites dans le rapport soumis au vote, voici ce que cela donne, thème par thème.

Thème n°1 : Développement de la pratique

  • Le label club féminin a effectivement été renouvelé. Ce label est décerné pour deux ans. Le plan de féminisation indique 63 clubs labellisés (sur 905) pour la période 2017/2019 tandis que le rapport nous informe que « Cette année, ce sont 60 clubs qui se sont vus attribuer cette distinction ». Cela veut dire que les effectifs des clubs labellisés sont stables.
  • La semaine au féminin a bien été organisée en 2019. De même, le plan de féminisation faisait état de 40 clubs ayant participé à cet événement en 2018, que l’on comparera aux 37 clubs signalés dans le rapport DNEF de cette AG. Par ailleurs, le plan de féminisation prévoyait de « récompenser 3 projets originaux proposés durant cette semaine des échecs au féminin », le rapport indique un seul club lauréat, pour ce qui s’appelle le trophée des clubs.
  • Pour le programme Smart Girls, renouvelé comme promis dans le plan, vous trouverez sur notre site une analyse complète et chiffrée de cette initiative, qui conclut à un bilan contrasté de ce programme puisque si 330 nouvelles joueuses ont bien pris une première licence via ce programme, seulement 27% d’entre elles ont rempilé à la FFE l’année suivante.
  • Le « renforcement des partenariats avec les institutions du sport scolaire » devait être piloté par la DNS (Direction Nationale des Scolaires), ce qui explique sans doute que je n’ai pas vu une ligne à ce sujet dans le rapport de la DNEF, tandis que le rapport de la DNS montre que des choses très intéressantes se mettent en place.

On peut donc attribuer une bonne note à ce thème, même si en guise de développement on constate plutôt un statut quo du nombre de clubs impliqués dans le label féminin et la semaine au féminin.

Thème n°2 : Féminisation et sensibilisation des instances dirigeantes

  • L’adhésion à Femix’sport a bien été prise mais il ne me semble pas que la DNEF relaye « les événements et formations » proposés par cette association.
  • Il n’y a aucune nouvelle du « séminaire participatif des femmes afin d’échanger sur les attentes liées à la fonction » (de dirigeante).
  • Je n’ai pas eu vent de la « remise en place des trophées de dirigeants FFE » qui devaient récompenser « la meilleure dirigeante, le meilleur projet de développement de la pratique auprès des femmes, le meilleur club féminin ». On attend d’ailleurs toujours de connaitre les critères retenus pour décerner ces prix.
  • La « valorisation des « actions des dirigeantes par une présentation mensuelle » a démarré sur le site FFE (page du secteur féminin et pas, sauf erreur de ma part, « en une du site fédéral » comme annoncé) plus que poussivement, avec rien en janvier, l’interview d’Isabelle Hamelin en février (interview reprise dans Caïssa n°4), rien en mars, puis l’interview d’Anémone Kulczak en avril (qui est arbitre et non pas dirigeante mais ne chipotons pas, interview reprise dans Caïssa n°5) et après, plus rien jusqu’à la fin de l’année 2019, en dehors d’un entrefilet en septembre décrivant le club d’Ouziers dont toutes les personnes dirigeantes sont des femmes mais sans interview.

Zéro pointé pour le thème de la féminisation des instances dirigeantes avec deux des principales actions programmées pour 2019 non réalisées et pour la dernière action, à peine un embryon de réalisation.

Thème n°3 : Féminisation de l’arbitrage et de l’encadrement technique

  • Le plan avait annoncé la parité d’arbitrage dès août 2019 aux Championnats nationaux. Comme vous pourrez le lire sur notre site, ce fut un flop absolu avec moins de femmes arbitres l’année où l’annonce de la parité a été faite que l’année précédente.

Même mauvaise note pour le thème de la féminisation des fonctions d’arbitrage et d’encadrement technique.

Thème n°4 : Soutien au haut niveau féminin

  • Au regard du « pôle féminin national » prévu en partenariat avec la DTN (Direction Technique Nationale,) et la DNJ (Direction Nationale des Jeunes), je n’ai rien trouvé à ce sujet dans le rapport de la DNEF ce qui est tout de même un peu fort de café ; rien non plus dans le sec rapport (3 pages) de la DTN. Dans le rapport de 8 pages de la DNJ, j’ai déniché comme unique information que « Dans le cadre du pôle féminin, un stage d’entraînement a eu lieu pendant le Festival des jeux de Cannes, du 18 au 22 Février animé par Yannick Gozzoli » et qui a concerné 6 jeunes espoirs féminins sur 20.
  • La « formation de nos meilleures joueuses à la communication et à l’utilisation des réseaux sociaux » prévue pour être gérée par la DTN n’apparait ni dans le rapport de la DTN, ni dans celui de la DNEF.
  • Le marrainage des « actions de développement par nos meilleures joueuses » semble être resté lettre morte, on ne trouve en tout cas aucun mot à ce sujet dans le rapport de la DNEF.

Je ne suis pas sûre que ce dernier bilan vaille beaucoup plus que la moyenne.

C’est très bien de proposer un plan de féminisation structuré, basé sur un constat honnête de la situation actuelle et rigoureusement organisé en thèmes/objectifs/actions/calendrier/mesure d’évaluation. C’est beaucoup moins bien de ne pas le mettre en place. Plus précisément, si on analyse les réussites du plan en 2019, on s’aperçoit que l’on a :

  • Le renouvellement d’initiatives qui tournent déjà depuis longtemps (la semaine au féminin, le label féminin) ou qui sont sur les rails (Smart Girls), qui ne demandent donc pas un énorme investissement intellectuel. Certes, cela requiert de l’organisation, du temps au téléphone, des déplacements, ça ne tombe pas tout cuit dans l’escarcelle mais cela ne nécessite pas vraiment de sortir de son train-train.
  • Des actions pilotées par d’autres Directions Nationales que la DNEF (pôle féminin, conventions avec les institutions du sport scolaire). Comme ces actions ne sont qu’à peine mentionnées dans le rapport de la DNEF, on peut supposer que c’est parce que l’investissement de la DNEF a été très réduit.
  • Une prise de licence (à Femix’sport) qui a du prendre trois minutes à la personne qui a fait le virement et rempli le bulletin d’adhésion.

Inversement, ce qui manque, ce qui n’a pas été réalisé, alors que l’engagement en était pris, ce sont des actions qui demandaient de l’imagination (le marrainage d’actions tout azimut), un regard neuf (formation aux réseaux sociaux pour les joueuses de haut niveau) et de nouvelles méthodes (séminaire de dirigeantes).

                Pourquoi donc un tel décalage entre ce qui avait été promis et ce qui a été réalisé ? Et pourquoi donc ne pas reconnaître honnêtement qu’il y a eu « du retard à l’allumage » alors qu’il y avait eu du courage à admettre, dans le plan de féminisation, que le bilan n’était pas tout rose ? Y aurait-il eu une volte-face à la tête de la DNEF ? « Souvent femme varie », disait donc François.

Cette attitude de déni et de silence sensée cacher d’un voile opaque les manquements flagrants de la DNEF à ses engagements « forts » est d’autant plus regrettable qu’il semblerait que la DNEF ait quelques chances de se rattraper un peu sur le prochain rapport, qui couvrira l’année calendaire 2020 et sera présenté à l’AG 2021. En effet, n’oublions pas qu’après moult protestations, dont celles portées par E&M !, l’équipe d’arbitres des Championnat de France Jeunes prévus en 2020 était en effet paritaire. Les efforts déployés par Laurent Freyd, en allongeant la durée de l’appel à candidature et en sélectionnant une équipe avant l’annonce du nom de l’arbitre principal, avaient abouti à ce beau résultat, qui prouve donc qu’il est parfaitement possible d’avoir une équipe arbitrale paritaire sans passer par une laborieuse augmentation par petites étapes de la part féminine du corps arbitral. Certes l’équipe annoncée n’a pas pu exercer pour cause d’annulation de ces championnats mais la faute en revient seulement au virus. L’année 2020, qui touche bientôt à sa fin, a vu également naitre, avec un an de retard, une des promesses du plan de féminisation : celui d’un séminaire des dirigeantes. Toutefois, ce séminaire promis, dans le plan, pour regrouper « tous les niveaux structurels de la fédération (des clubs jusqu’au comité directeur fédéral) » est pour l’heure savamment fermé, pour ne pas dire cadenassé puisque « Dans un premier temps, ce club présidé par la DNEF et la directrice générale de la FFE concernera donc les directions régionales et départementales des échecs au féminin et pourra s’étendre par la suite » (vous noterez le délicieux flou de ce futur tout en retenue). Il manque donc à tout le moins toutes les présidentes de club.

Dans ces conditions, quelle confiance peut-on accorder à la DNEF ? Quelle confiance peut-on accorder à une liste qui fait soudain passer la directrice de la DNEF de la 6ème (pour les élections envisagée en juin) à la 4ème place (liste définitive) malgré ces oublis beaucoup trop systématiques des promesses pour être seulement des étourderies ? Bien fol(le) qui s’y fie, concluait François.

PS : les images illustrant ce texte ont toutes été trouvées sur le site (gratuit) jigsawplanet.com (que par ailleurs je vous recommande si vous aimez les puzzles pour vous détendre et détestez perdre ou abimer les pièces en carton), en lançant la recherche « chess ».

Promotion de la femme dans les échecs : le label club féminin

Pour aujourd’hui, c’est Sonia Bogdanovsky, qui se définit elle-même comme une « joueuse de base », qui donne son point de vue sur le label féminin décerné par la FFE. Bonne lecture de ce décryptage sans concessions.

Les personnes qui cherchent à «promouvoir la femme dans les échecs» à la FFE veulent sans doute réellement que les échecs se féminisent, afin qu’on arrive à une fédération où il y aura autant de joueurs que de joueuses et où, en haut niveau, les femmes seront aussi fortes que les hommes. Et sur cela, je suis de tout cœur avec eux.

Mais je suis loin de partager leur vision de «la femme» et des moyens utiles et nécessaires pour la «promouvoir» en tant que joueuse. Je l’ai compris quand je suis tombée sur un petit symbole rose violacé sur le site de la FFE à côté du nom d’un club. En cherchant, j’ai découvert que cela voulait dire que ce club était titulaire du « Label club échecs au féminin » de la FFE. 48 clubs sont actuellement titulaires de ce label en France (la liste est disponible sur le site de la fédération, dans l’onglet «féminines»; liste des clubs labellisés 2015-2017). Ils ont le droit de mettre en avant cette distinction dans leur communication avec leurs partenaires privés et les institutions publiques, et la ville où ils se trouvent reçoit une lettre pour signaler la labellisation.

Au départ, l’idée m’a enthousiasmée et je me suis dit que mon club actuel l’obtiendrait facilement : il y a «beaucoup» de femmes par rapport à la plupart des clubs (20% de l’effectif), dont plusieurs à y être capitaine ou à l’avoir été, et on y est considérée comme des membres du club à part entière. Ensuite j’ai lu la Charte pour l’obtention du Label club féminin. Elle contient toute de série de mesures (dont on ne sait pas trop si ce sont des propositions ou des obligations) visant à ce que les femmes se sentent bien dans un club. Et je me suis demandé si j’avais envie que le mien y soit associé.

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