La FFE compte moins de 20% de licenciées. Il faut que ce taux augmente. D’une part parce que gagner des adhésions féminines, c’est gagner des licences : la marge de progression des adhésions féminines est réelle, comme l’a montré l’engouement autour de la série Le Jeu de la Dame. Pour que cet intérêt ne soit pas qu’un feu de paille, il faut que les joueuses se sentent bien en club. Dans un milieu à 80% masculin, certains hommes peuvent se permettre des blagues lourdes, des attitudes désagréables, ou tout simplement mal considérer les joueuses et leur donner envie de fuir clubs et tournois. Un meilleur taux de féminisation permettrait sans doute de réduire ces problèmes. Voici notre analyse de ce que proposent les candidats à la présidence de la FFE pour cela.
Le plan de féminisation
Vous souvenez-vous du plan de féminisation de la FFE de 2019 ? Il nous avait enthousiasmé-e-s (lire ici et là) avant que nous soyons très énervé-e-s par le non-respect de sa promesse d’atteindre la parité dans les équipes d’arbitrage aux championnats de France. Si Laurent Freyd a finalement rempli cet engagement pour les championnats de France 2020 (annulés depuis) d’autres promesses n’ont pas été tenues par l’équipe actuellement en place : qu’a-t-on fait pour « éradiquer les attitudes sexistes » ? Le séminaire « exposant la réalité de la vie de président.e de club » a-t-il eu lieu ? Y a-t-il plus de formatrices et d’arbitres femmes ? La FFE devait par exemple « créer une politique tarifaire favorisante lorsque les stages d’arbitrage sont mixtes », pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? (Rappelons que le plan de féminisation date du printemps 2019, soit un peu moins d’un an avant le premier confinement, il y avait largement le temps d’adapter la politique tarifaire pour les stages qui ont eu lieu après.)
Globalement, ce plan enthousiasmant a donc très imparfaitement été mis en oeuvre et est un échec pour ce qui est des objectifs chiffrés. Que va-t-il devenir avec les listes actuellement candidates à l’élection du mois prochain ?
On constate que l’équipe en place, qui porte la liste Un temps d’avance, est fière d’intégrer ce plan dans son bilan. Durant la soirée de présentation de sa liste où il parlait « féminisation », Bachar Koutly a répété plusieurs fois « nous avons fait le plan de féminisation ». Pourquoi se vanter d’avoir fait un plan que l’on a si peu appliqué ? Tout simplement parce qu’un plan de féminisation est une obligation du code du sport qu’il fallait remplir pour garder l’agrément du Ministère de la Jeunesse et des Sports. Il était nécessaire d’avoir un plan, sa réalisation était secondaire.
On est alors en droit de douter de la réalisation des nouvelles promesses de féminisation de la liste Un temps d’avance, surtout qu’elles ne sont pas accompagnées des moyens de leur mise en œuvre. Cette liste nous promet par exemple de nouveau de féminiser le corps arbitral, mais ne nous dit pas comment il compte faire. Tout comme elle vise 25% de licenciées à l’horizon 2024, sans vraiment s’en donner les moyens. La liste recycle aussi des promesses du plan de féminisation qui n’ont pu être appliquées pour cause de crise sanitaire : le programme « parraine ta copine » qu’on nous promet en juin prochain était par exemple déjà prévu pour mars 2020.
De la part d’Ouverture, nous avons eu des réponses très détaillées sur tous les aspects du plan de féminisation. Cette liste compte par exemple garder le label club féminin en le faisant évoluer vers un label mixité, et propose également que la semaine des échecs au féminin devienne plus axée sur la mixité. Cela nous semble intéressant car nous avions été choqué.e.s de l’aspect « Maman va au salon de thé » du label club féminin.
Du côté d’Unité nous n’avons pas eu de réponse directe sur le plan de féminisation, mais uniquement sur certains aspects que nous allons détailler ci-après.
Que proposent les listes pour recruter plus de licenciées et faire en sorte qu’elles restent dans les clubs ?
Dans la vie des clubs : À Un temps d’avance, on compte « créer un dossier thématique sur « Comment développer les Échecs au féminin » : plan de communication, guide d’accueil, mécénat, parrainage, etc. » tandis que chez Unité on veut « sensibiliser et soutenir les clubs en leur fournissant des supports pédagogiques pour la rédaction d’un plan de féminisation qui a pu réussir dans d’autres clubs ». Cela nous semble une bonne idée, à condition de mettre les moyens de le faire sérieusement. C’est à dire commencer d’abord par un travail approfondi d’étude et de récolte des différentes pratiques des clubs sur ce sujet, puis d’évaluation de ces pratiques.
Comme pour le plan de féminisation de la FFE, rappelons qu’un plan c’est très bien, mais qu’il ne sert à rien s’il n’est pas mis en œuvre. Il faudra donc, si ces listes arrivent à la tête de la Fédération, qu’elles sachent motiver les clubs, notamment en leur rappelant que les nouvelles joueuses ne seront pas seulement « des féminines », cet animal étrange qu’on croise parfois, mais des membres à part entière d’un club, et qui sont là pour participer à son présent et à son avenir.
Chez Ouverture, on propose d’aider les clubs grâce à la mise en place d’une plateforme « pour mieux comprendre les subventions possibles pour le développement de la pratique sportive féminine, et en bénéficier ». Il est clair qu’il est important de faire comprendre à certains clubs que les joueuses sont aussi un moyen d’avoir des subventions, ce qui signifie qu’elles ne sont ni une charge ni une obligation mais bien une chance pour eux.
Du réseau et des formation pour que les femmes accèdent à des fonctions de dirigeantes : Un temps d’avance propose d’étendre Le Club des dirigeantes « à l’ensemble des dirigeantes de France (clubs, CDJE, ligues, commissions). » Mais qu’est-ce donc que le club des dirigeantes ? Il s’agit d’un réseau qui a été créé en novembre dernier et qui, pour l’instant, ne regroupe que les directrices régionales des échecs au féminin et des membres de la Direction Nationale des Échecs au féminin. C’est surement très bien que ces directrices puissent échanger leurs expériences, même si on peut au passage se demander pourquoi les responsables des échecs au féminin devraient toujours être des femmes (tout comme les autres postes régionaux n’ont rien de spécifiquement masculin). Ce club serait donc étendu à toutes les femmes qui ont des responsabilités en tant que dirigeantes club, de comité départemental, de ligues ou de commission.
C’est un sujet sur lequel nous sommes partagé-e-s à Échecs et Mixte. Ne s’agirait-il que d’une usine à gaz sans intérêt ? Est-ce uniquement de l’entre-soi ? À quoi ça cela servira-t-il ? Cela peut-il aider les présidentes de club d’échanger sur des problèmes qu’elles vivent, de se rendre compte par exemple que certaines attitudes machistes qu’elles constatent n’existent pas que dans leur propre club, pour trouver ensemble comment les contrer ? Ce qui est certain est qu’un tel club de dirigeantes ne peut fonctionner que s’il se réunit régulièrement, notamment en présentiel, qu’il est animé par des personnes conscientes des problèmes réels, et qu’il n’est pas qu’une noix creuse qu’on annonce sur le site FFE puis qu’on oublie.
Dans les propositions de la liste Ouverture, on trouve aussi un club des 100 dirigeantes, mais cette fois non-réservé à celles qui dirigent déjà. Il s’agit plus, quand on regarde dans le détail, d’une formation à l’usage des présidentes ou futures présidentes de club, aussi bien pour apprendre à s’affirmer qu’à gérer un club. Cette proposition semble très intéressante, elle demandera un véritable engagement de la part de la FFE, elle n’est pas simple à mettre en œuvre, mais elle peut donner des résultats très positifs.
Des formations contre le sexisme : le plan de féminisation présenté au printemps 2019 annonçait la « création d’un module de formation pour sensibiliser les initiateurs et formateurs », avec notamment la « mise en place d’une formation à la gestion du jeune public féminin en direction des dirigeants et des éducateurs (accueil des femmes) incluant une campagne visant à repérer et éradiquer les attitudes sexistes (déconstruction des stéréotypes sexués des encadrants, agressions verbales, etc.). » On peut douter que cela ait été réalisé quand on constate que les descriptifs des stages de formation pour les initiateurs (DIFFE) et les animateurs (DAFFE) datent tous de novembre 2014 et ne mentionnent nullement une quelconque lutte contre le sexisme. Un temps d’avance, liste menée par l’équipe en place – si fière d’avoir rédigé ce plan – ne parle d’ailleurs pas dans son programme de violences sexistes ou de stéréotype de genre. Il traite de la lutte contre « toutes les formes de violence » mais quand on regarde dans le détail on voit que cela concerne surtout les violences contre les enfants et la pédophilie. C’est totalement nécessaire, mais nous nous inquiètons que les violences envers les femmes, notamment verbales, les stéréotypes de genre (combien de fois a-t-on entendu « c’est des histoires de nanas » à propos d’un problème entre deux joueuses ?) ne fassent pas l’objet de formation pour savoir les repérer et les contrer.
Les deux autres listes proposent au contraire de travailler sur ce sujet précis. Ouverture propose un programme détaillé qui va de la sensibilisation des diplomé-e-s de la FFE (sans doute les formateurs-trices et les arbitres) à la lutte contre les stéréotypes de genre, en passant par la promotion de la mixité notamment en créant des « référents mixité » pour chaque ligue, et par la sensibilisation et l’échange d’expériences lors des championnats de France Jeunes. Du côté d’Unité, on prévoit de « former les présidents et les animateurs aux questions d’égalité et de respect dans l’enseignement du jeu d’échecs pour faire cesser certains comportements misogynes. » C’est aussi positif, mais nous nous demandons comment inciter les présidents de clubs à suivre des formations, alors que leur charge est déjà lourde. S’il s’agit de formations optionnelles, on peut douter que ceux qui les suivront soient ceux qui en ont le plus besoin, car personne ne se sent jamais sexiste. Nous aimerions aussi savoir qui donnera ces formations : la FFE elle-même ? Un partenaire externe ? Ouverture a pris pour partenaire Egal’Sport, un collectif spécialisé dans l’égalité femmes / hommes dans le sport ; nous espérons que si Unité est la liste majoritaire, elle s’inspirera de cette idée pour travailler avec ceux qui ont de l’expérience dans le domaine des formations contre le sexisme. Nous sommes dans tous les cas heureuses et heureux que ces deux listes fassent figurer cette question dans leur programme car la question du sexisme dans les clubs ou en tournoi est extrêmement importante pour le bien-être des joueuses et des joueurs.
Des mesures pour fidéliser les jeunes : nous avons remarqué dans les programmes deux mesures pour garder les adolescent-e-s en club lorsqu’ils et elles grandissent. Ce ne sont pas des mesures spécifiques en faveur des jeunes filles, mais comme nous savons que la désaffection des joueuses est particulièrement forte à cet âge, il est intéressant de les noter. Un temps d’avance propose en effet de responsabiliser les jeunes à l’adolescence pour leur donner envie de rester au club, aussi bien en leur faisant faire de l’arbitrage qu’en leur donnant des responsabilité associatives. Du côté d’Unité, on souhaite motiver les jeunes joueurs avec un système d’objectif par paliers (par exemple viser à se qualifier aux championnats de France, puis à être dans les 10 premiers, puis… etc.) Pourquoi pas ? Nous ne savons pas si ça marchera, mais c’est sans doute à tenter. On peut en tout cas se réjouir que ces listes recherchent des solutions pour cette classe d’âge.
Smart Girls : sur le programme Smart Girls, tout le monde est d’accord. Rien ne fait autant l’unanimité entre les listes. Si Unité compte y ajouter des masterclass de grandes joueuses ou si Ouverture compte y créer des équipes et y récompenser des jeunes joueuses, les trois listes souhaitent le poursuivre. À se demander pourquoi on n’a pas l’idée de nouveaux programmes de ce type, où on enverrait les clubs chercher de nouvelles adhérentes. (On rappelle au passage que pour que ces nouvelles adhérentes restent, il faut, comme toujours, que les clubs sachent leur en donner envie). On peut juste regretter que la gratuité de la licence la première année pour les participantes à Smart Girls ait été abandonnée et que personne n’envisage d’y revenir.
Voici donc notre analyse des propositions des trois listes sur la féminisation en clubs. Globalement, la liste Un temps d’avance nous semble proposer peu de réelles nouveautés, recyclant surtout les propositions précédentes du plan de féminisation. Unité a des propositions intéressantes, mais on sent surtout une vraie réflexion sur la mixité et le travail pour sortir des stéréotypes de genre de la part d’Ouverture.
Pour revenir au sommaire de notre dossier sur les élections de 2021 au Comité Directeur de la FFE, il suffit de cliquer ici.
Merci pour cette synthése. Jluc Gamba C/O Chess-France