La FFE a publié récemment une programmation intitulée « plan de féminisation 2019-2024 », qui a été également présentée pendant les journées du championnat de France jeunes, conjointement par J. Wolfangel et M. Choisy. Nous avons tant réclamé des mesures en faveur de la mixité de la FFE que nous ne pouvons qu’applaudir, sincèrement et honnêtement, à cette initiative. A cette occasion, la FFE voit grand, avec une vision pluriannuelle concertée : félicitations, il n’était que temps !
Pour celles et ceux qui n’auraient pas l’envie de se plonger dans les 28 pages de ce texte, nous avons la joie de présenter sur notre page WEB une analyse détaillée, basée sur les figures et la matière publiée (en italique et entre guillemets lorsqu’elle a été reprise). Nous n’avons pas pu, malheureusement, assister à la présentation de ce plan lors des championnats jeunes. Nous n’avons donc pas pu prendre en considération les éventuelles explications ou précisions apportées lors de cette séance orale. Ainsi, pour cette première partie, nous ne discuterons que de la section intitulée « Développement de la pratique ».
Toute bonne entreprise d’évolution/révolution commence par une revue de la situation actuelle et, à peu de choses près, celle dressée par la FFE nous parait juste et bien balancée. Dans ce bilan, les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2009 et 2018, la moyenne du pourcentage de licenciées FFE atteint péniblement 22,4 %, avec un écart-type de l’ordre de 1%. Certes, on peut discerner une tendance en cloche, avec une augmentation de 2009 à 2013 puis une baisse jusqu’à 2018 mais l’analyse plus fine faite page 5 confirme ce que tout le monde sait à la FFE : la dynamique des licences A et B est très différente. Ainsi, le nombre de licenciées A est plutôt en augmentation sur la période 2009 / 2018, passant de 3381 à 3733, avec quelques hoquets (ce qui corrige à peine le texte écrit page 7 : « Du côté de la pratique compétitive, les licences A sont en augmentation constante »), tandis que les licenciées B sont une espèce en voie de disparition depuis 2013 (de 11647 au plus haut à 7357 en 2018). La chute des licenciées après 2013 est bien celles des licenciées B – comme indiqué on ne peut plus clairement dans le texte, page 6 : « La forte baisse observée concerne donc uniquement les licences B, correspondant à une pratique loisirs chez les plus jeunes. Elle est plus précisément localisée chez les moins de 12 ans. »
Ceci permet donc de conclure fermement : NON, la suppression de la « féminine obligatoire en Nat. III » en 2013 n’a strictement rien à voir avec la chute du pourcentage de femmes à la FFE, puisque l’on voit mal par quel mécanisme étrange une mesure pour les licenciées A aurait impacté négativement les licenciées B. On pourrait plus justement remarquer que la suppression de cette règle n’a en rien perturbé l’augmentation des prises de licences A chez les femmes. Rappelons, si nécessité est, que l’obligation d’une femme par équipe d’interclubs adultes est toujours valable en Top 12, Nat. I et Nat. II, ce qui diminue sensiblement les conséquences attribuables à cette mesure, quelles qu’elles soient. S’il nous est permis d’insister, le fait que cette suppression n’ait pas d’effet significatif sur les chiffres devrait même inciter la FFE à élargir cette suppression aux trois niveaux d’interclubs en souffrant encore. Toutefois nous ne sommes pas pour la renonciation pure et simple à cette mesure, qui malgré la bonne volonté qui a accompagné sa mise en place s’est révélée inefficace : nous préférerions la voir améliorée. Ainsi nous avons publié dès mai 2015 une proposition alternative visant à augmenter le nombre de compétitrices en interclubs.
Le bilan se termine par deux constats intéressants : D’une part, « la pratique compétitive est en légère hausse », quoiqu’encore « insuffisante », alors que « la pratique loisir est en baisse constante ». Une interprétation qui n’engage que la rédactrice de ce texte est que les jeunes filles tâtent du jeu d’échecs via les animations périscolaires, qu’un tout petit nombre d’entre elles « accrochent » à la compétition et viennent grossir peu à peu les rangs des licenciées A tandis que la majorité d’entre elles abandonnent avant 12 ans pour aller voir ailleurs. La conclusion parfaitement logique est qu’il faut repenser l’offre de la FFE en la diversifiant, notamment dans tous ses facettes non compétitives. L’association E&M! signale que cette remarque de bon sens rappelle fortement une suggestion faite il y a déjà belle lurette, dans une chronique comparant « notre » FFE et la FFE (Fédération Française d’Équitation) qui a effectué une volte-face vers une féminisation massive, concomitante d’une diversification spectaculaire des disciplines équestres, autrefois cantonnées aux seuls dressage et saut d’obstacles de compétition. Une autre conclusion est que l’avenir de la FFE passe par les licences B, hommes et femmes confondus, ce que nous disions déjà dans un texte de 2015.
Ce bilan est courageux. Admettre en termes aussi nets, sur une base chiffrée indiscutable et rendue accessible à qui veut l’examiner, que tout ne va pas bien sous les nuées de la FFE n’a certainement pas été chose facile pour les organes dirigeants concernés à la FFE, qui étaient, jusqu’à présent, un peu trop coutumiers de textes dithyrambiques, agrémentés de très nombreux points d’exclamation, et présentant comme un succès toutes les actions menées, même si les chiffres (du moins, lorsqu’ils étaient fournis) allaient à l’encontre de cette vision à la Pangloss. Nous espérons que cette nouvelle façon d’appréhender la réalité, sans langue de bois, sur la base de données intangibles et de critères rationnels perdurera et nous saluons le changement d’attitude.
Une fois passée la pilule amère du bilan, vient le temps des objectifs, au nombre de trois, les deux premiers très clairs, le troisième un peu plus flou dans son énoncé :
- fidélisation des licenciées actuelles, compétitrices ou non
- conquête de nouvelles pratiquantes
- extension de la démarche citoyenne
Ces objectifs sont ensuite déclinés en actions, dont les effets seront mesurés par des indicateurs chiffrés. C’est là une avancée très positive dans la gestion et le suivi des actions en vue de la féminisation de la FFE, qui ont par le passé trop pâti de l’absence de suivi rationnel. Nous reprenons les grandes lignes de ces actions, avec quelques commentaires.
La fidélisation des licenciées semble ne pas passer par la diversification des pratiques du jeu d’échecs pourtant évoquée plus haut pour ne mettre l’accent que sur des mesures existantes dont l’efficacité est loin d’être prouvée. En effet, le label féminin mis en avant ne concerne que 7% des clubs affiliés à la FFE. Il faut dire qu’il faut se frotter les yeux quand on consulte les conditions : il s’agit surtout d’attirer des femmes (pardon, des « féminines ») dont le statut est mère, sœur ou compagne (d’un joueur d’échecs, vous l’auriez deviné). Nous avons déjà dit tout le mal que nous pensons des conditions d’obtention du label féminin. La deuxième action proposée est le développement de la « semaine des échecs au féminin », rapidement amalgamée avec les « échecs féminins ». Rappelons qu’il n’y a pas d’échecs féminins, pas plus qu’il n’existe de musique féminine. De même que pour le label féminin, le succès de cette semaine est très limité, malgré les 100 € à la clef : 40 clubs en 2018 et 36 en 2019 d’après la lettre de la FFE adressée au clubs le 11 avril 2019, soit 4% des clubs. Enfin, le troisième volet « développer la pratique familiale » est bien dans le style de ces actions qui ne considèrent les femmes que sous leur statut de mère. Nul mot des pratiques alternatives du jeu d’échecs, hormis le tournoi de paires échecs prévu lors des championnats de France, qui semble n’être destiné qu’aux familles ((page 9 du plan : « Développer la pratique alternative en famille : jeu deux contre deux sur un seul échiquier. Un tournoi de ce type sera testé au championnat de France à Chartres en août 2019 »)). Peut-on savoir pourquoi une femme attirée par cette idée originale ne pourrait jouer qu’avec son mari, son fils, son frère ou son père ? On retrouve là, malheureusement, tous les travers anciens de la FFE vis-à-vis des femmes, qui, pour nous, sont avant tout des joueuses et non pas la femme de machin, la sœur de truc ou la mère de bidule. Avant de songer à relancer la publicité de mesures dont le désaveu par les clubs est patent, peut-être faudrait-il se demander pourquoi ces mesures patriarcales ont si peu de succès ?
La conquête de nouvelles joueuses est censée passer par le parrainage des joueuses de l’équipe de France (oser le néologisme de marrainage à cette occasion aurait été bienvenu), des cours (non définis) gratuits pendant une année et l’honneur d’être spectatrice lors du Grand Chess Tour à Paris, tournoi au cours duquel les 10 meilleurs joueurs du monde s’affronteront. Les participants de ce tournoi ne sont pas encore connus à l’heure où j’écris mais il est fort à parier que ce seront dix hommes, ce qui fait légèrement douter de l’effet convaincant attendu. En revanche, proposer la gratuité de la licence, la première année, aux femmes du programme Smart Girls nous parait une excellente idée pour leur mettre le pied à l’étrier. Nous n’attendons plus que le bilan chiffré du programme Smart Girls en France, dont on nous a répété à l’envi qu’il était un succès mais sans en donner la mesure précise : « Plus d’une centaine de jeunes filles » initiées aux échecs, nous dit-on, c’est très bien mais combien d’entre elles ont rejoint un club suite à cette initiation ? « la plupart », nous répond-on. Dans le même genre, le guide prévu regroupant les bonnes pratiques d’accueil est également une très bonne idée, en espérant que la charte éditoriale annoncée sera appliquée en premier lieu dans les textes de la DNEF. Enfin, le souci affiché « d’éradiquer les attitudes sexistes » est une initiative hautement louable et que nous approuvons avec le plus grand plaisir. Quant au projet de rejoindre les Jeux Internationaux de la Jeunesse, mixtes par essence, c’est un beau projet qui pourrait ne pas voir le jour avant un certain temps car la 9ème édition, qui aura lieu au Liban en juin 2019, s’inscrit pleinement au programme éducatif des Jeux olympiques et paralympiques de Paris « Horizon 2024 » dont on sait que les échecs ont été écartés.
Le troisième objectif de « démarche citoyenne, notamment vis-à-vis des publics spécifiques », quoique bienvenu fait un peu figure de fourre-tout. On y parle des publics défavorisés des quartiers QPV (Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville) et ZRR (Zones de Revitalisation Rurale), des autistes et des enfants souffrant de TDA/H (Troubles de Déficit de l’Attention/Hyperactivité). Soyons claires : tout cela est humainement hautement valable et digne de louanges mais on ne voit pas très bien ce que cela vient faire dans un plan de féminisation. Ces projets auraient plus leur place dans un plan de développement global de la FFE, puisque comme indiqué page 12, « Ce plan est à destination d’un public mixte, jeunes hommes et jeunes filles ».
Terminons par une suggestion gratuite à propos de la diversification des pratiques du jeu d’échecs. Les échecs sont un sport en France mais pas forcément ailleurs, tandis que dans tous les pays du monde, les échecs sont clairement un jeu, plus précisément un jeu de l’esprit. Pourquoi ne pas tenter des actions communes avec les Fédérations de go, de Scrabble, de dames, de xiangqi… ((liste non exhaustive)) ?
2 opinions sur “F-FFE-E ! Féminiser la FFE, enfin !”