Voter n’est pas jouer

Voilà un bout de temps que je n’avais pas pris le clavier et sauf si vous avez vécu terré dans une grotte, il ne devrait pas vous avoir échappé qu’il y a eu depuis ma dernière intervention sur le site « quelques petits changements » à la FFE.

Dans ce billet, je voudrais reprendre certains points des nouveaux statuts de la FFE, tels qu’ils ont finalement été votés lors de l’AG de février 2016, nouveaux statuts que vous retrouverez dans leur intégralité, accompagnés du nouveau règlement intérieur ici (page WEB de la FFE). Les extraits de ces nouveaux règlements sont indiqués entre guillemets dans tout le texte qui suit.

Ce vote a fait circuler beaucoup d’électrons recyclés sur la toile. Peut-être avez vu passer des sites à durée limitée faisant la chronologie des différents amendements ou bien avez-vous lu ici ou là divers blogs ou discussions sur le sujet. De ces diverses appréciations de l’événement, je ne commenterais que l’annonce officielle de la FFE (à lire ici) et encore, très partiellement. Le titre de cet entrefilet pourrait faire sursauter : ‘statuts adoptés à l’unanimité’, voilà qui pourrait surprendre si l’on a lu les échanges quelques fois musclés ou peu amènes qui ont été publiés par ailleurs. C’est toutefois en même temps exact et quelque peu oublieux de certaines précisions qui ont leur importance.

Ayant assisté et participé avec droit de vote aux débats, je tiens à confirmer que ‘les amendements ont été débattus‘ mais j’ajoute souvent avec vigueur. En particulier, la proposition qui avait été faite de permettre l’élection du président de la FFE sans limitation du nombre de mandats, quoique soutenue avec ferveur par certains s’est vue proprement et sèchement retoquer par l’assemblée : 160 votes pour, 80 abstentions et … 278 voix contre. Dans le même registre, la proposition suivante de permettre trois mandats consécutifs de quatre ans du président a été également renvoyée dans les cordes avec 195 voix pour, 21 abstentions et 302 voix contre. Quand bien même le résultat du vote est sans appel, on est tout de même très loin de l’unanimité.

En réalité, après avoir longuement débattu, parfois avec acharnement, les votes intermédiaires sur les divers amendements ont conduit à un texte qui, à mon humble avis, ne pouvait satisfaire totalement toutes les personnes présentes. Si l’une ou l’autre a eu gain de cause pour le nombre des mandats du président, peut-être n’a-t-elle pas voté comme la majorité sur le statut des clubs scolaires ou vice versa. Notons aussi un nombre d’absentions très variable selon les amendements. L’unanimité a été obtenue à la fin des débats lorsqu’il a été question de clore l’AG : il fallait voter (oui, non, abstention) sur le texte définitif, fruit de tous ces votes intermédiaires. Il eut été idiot et inutile de voter contre : les membres présents ont eu largement le temps de débattre et il n’y a pas eu de vote tendu avec des pourcentages frôlant les 50% pour ou contre. Par suite, l’AG a bien voté à l’unanimité les nouveaux statuts.

Ceci étant explicité, je voudrais revenir sur les points qui intéressent plus particulièrement Échecs & Mixte ! (mais pas que : en toute logique, tout le monde devrait se sentir concerné). Les nouveaux statuts indiquent que (je cite) :

« La représentation minimale des personnes de chaque sexe au Comité Directeur est assurée conformément à l’article L. 131‐8 du Code du Sport de la façon suivante : six sièges lorsque la proportion de licenciés de l’un des deux sexes est inférieure à 25 %, dix sièges lorsque cette proportion est égale ou supérieure à 25 %. »

Et pour le bureau, toujours d’après les nouveaux textes :

« La composition du Bureau Fédéral n’excède pas 8 membres, tous pris au sein du Comité Directeur. Il comprend un nombre minimal de 25% de personnes de chacun des deux sexes lorsque la proportion de licenciés de l’un des deux sexes est inférieure à 25 %, ou de 40% lorsque cette proportion est supérieure ou égale à 25 %, conformément à l’article L. 131‐8 du Code du Sport.»

Certain(e)s penseront, éventuellement à haute voix : « 25%, ce n’est déjà pas si mal et 40 % ouh là là !!!». Je leur répondrai que la proportion de femmes à la FFE frôlant les 22%, ce 25% est tout simplement représentatif d’un état de fait (état de fait qui avait du mal à se trouver traduit en chiffres dans les anciennes instances, je me permets de le rappeler). Cela n’est en aucun cas une avancée majeure dont la FFE pourrait s’enorgueillir puisque que cette disposition des 25% ou 40 % n’est pas plus que le strict minimum imposé par le ministère à toutes les fédérations sportives : l’AG n’avait donc pas le choix et ne pouvait a minima voter autre chose. Il n’y a donc pas vraiment de quoi pavoiser, même si on peut être soulagé(e) que le ministère, dans son infinie sagesse, ait enfin fixé quelques règles que je qualifierais de raisonnables.

Les événements exceptionnels de ces derniers mois, et tout particulièrement la destitution du président, ne sont pas chose courante et ne sont pas à proprement parler prévus dans les statuts. De ce fait, il me parait somme toute normal que la nouvelle équipe dirigeante assurant le fonctionnement de la FFE jusqu’aux prochaines élections ait simplement (re)constitué un nouveau bureau, fixant à la fin de l’année une élection générale qui fera émerger un nouveau comité et un nouveau bureau. Ainsi, à l’heure actuelle, la composition du comité directeur fait état de 22 membres dont seulement trois femmes au lieu des 6 prévues par application à la lettre du texte récemment voté, tandis que le nouveau bureau est bien en accord avec les nouveaux textes, avec 7 membres dont 2 femmes. Il est certain que la FFE « vit des moments difficiles » pour le dire pudiquement et on peut louer cette mesure méritoire, sans cependant oublier un seul instant qu’elle n’est que la stricte application des nouveaux statuts.

Précédemment, je m’étais interrogée sur les modalités de recomposition du bureau et/ou du comité lorsque la proportion de femmes à la FFE dépassera les 25%, événement qui surviendra fatalement un jour ou l’autre. Les statuts votés indiquent dorénavant que « Cette proportion s’apprécie uniquement au dernier jour de la saison sportive précédant chaque Assemblée Générale élective » et, pour rappel, « Les organes dirigeants de la FFE sont élus au plus tard le 31 mars qui suit les Jeux Olympiques d’été au cours d’une Assemblée Générale élective dédiée à ce seul effet ».

Là aussi, je ne vais pas (trop) râler : d’abord, il faut bien fixer une date ou plus exactement une fréquence de reconsidération des proportions H/F. Il est certain aussi que modifier la composition du bureau et du comité tous les quatre matins lorsque la proportion tournicote(ra) autour des 25% fatidiques (un jour 25,01%, le mois suivant 24,99%) serait un vrai cauchemar institutionnel dont la FFE peut (doit !) faire l’économie. Ainsi donc, l’AG a voté une fréquence moyenne d’une fois tous les 4 ans. Cela aurait pu être plus resserré et j’avoue que lors de l’AG, je n’ai pas songé à proposer de couper la poire en deux pour le bureau, avec une fréquence tous les deux ans mais on m’aurait sans doute rétorqué avec raison que dissocier la fréquence du bureau et du comité (ce dernier étant élu au contraire du premier, nommé) eut été un casse-tête de plus. Bref, avec une élection fixée fin 2016, si jamais la FFE atteint 25,1% de femmes au 31/08/2017 et maintient ce chiffre par la suite, il faudra attendre au plus tard le 31 mars 2021 avant de voir le nombre de femmes du comité passer de 6 à 10 (et de 2 à 3 au bureau). Soit. Soit ? Pas si sure …

Examinons de plus près ce cas d’école où un comité de 24 membres comporterait 6 femmes, alors que la proportion de femmes à la FFE étant brutalement de 27% (histoire de rêver, un peu) il devrait y en avoir 10 et que les échéances électorales soient prévues seulement trois ans plus tard. Supposons qu’animés par un juste sentiment d’équité et le désir de se conformer à l’esprit plus qu’à la lettre du règlement, 4 hommes du comité démissionnent de concert. Il y a alors vacance et « Un siège du Comité Directeur devenu vacant est pourvu par le premier non élu de la liste à laquelle il appartenait, à défaut par le suivant et ainsi de suite, puis par le premier des suppléants de cette même liste et ainsi de suite jusqu’au dernier, sous réserve de respecter la représentation des deux sexes, pour la durée du mandat restant à courir. »

Là, voyez-vous, il y a une faille : la « représentation des deux sexes doit s’apprécier uniquement au dernier jour de la saison sportive précédant l’assemblée élective », mais cela n’est pas possible en l’état puisque cette saison sportive est située dans le futur. Comme on ne peut pas non plus laisser le comité avec 4 chaises vides pendant les trois années à venir, le plus raisonnable serait d’apprécier exceptionnellement les proportions F/H au jour de ces 4 démissions, ne croyez-vous pas ? Et si jamais ça rechignait encore, il suffirait que trois des femmes du comité démissionnent également. Dans ce cas, on passerait à 17 membres en fonction et « si le nombre de membres devient inférieur à 18, les postes vacants sont pourvus par élection lors de la plus prochaine Assemblée Générale », cette AG devenant de fait AG élective avec mise à plat des proportions H/F.

Je rêve, là ?

Isabelle Billard

4 opinions sur “Voter n’est pas jouer

  1. Bonjour,

    J’ai lu en diagonale mais je trouve paradoxal de prôner la mixité et s’inquiéter de la proportion de femmes et d’hommes que ce soit dans les instances dirigeantes de la FFE comme dans les clubs. Ce que je me dis depuis quelques temps c’est que la prise de licence ne devrait tout simplement pas comporter la case « sexe » et que toute référence à cette notion devrait disparaître des statuts de la FFE, des clubs et des règlements de compétition. Un joueur est un joueur, que ce soit un homme ou une femme. Et si pour les compétitions internationales comme les championnats jeunes, faute de pouvoir faire bouger la FIDE, on qualifie le premier garçon et la première fille.

    J’accompagnais des enfants à un tournoi rapide il y a 3 semaines, aucune notion de garçon ou de fille dans le règlement, pas de prix féminin, et je remarquais qu’il semblait y avoir beaucoup de filles. Effectivement, en consultant les stats j’ai vu qu’il y avait pas loin de 30% de filles et qu’elles étaient réparties équitablement dans le classement (3 filles dans les 10 premiers). D’ailleurs dans notre ligue le meilleur poussin est probablement une poussine et on peut même se demander si les deux meilleurs ne sont pas des filles (ça ne se voit pas au classement mais sur l’échiquier)

    L’un des candidats déclaré à la présidence de la FFE a écrit « J’aurais à cœur de lutter contre cette séparation absurde dans les compétitions internationales entre les hommes et les femmes. Aux échecs, sport intellectuel par excellence, les femmes et les hommes doivent jouer ensemble puisque la force physique n’intervient pas. C’est d’ailleurs ce que prône la championne Judit Polgar. »

    • Votre message me semble mélanger différents aspects.
      1) Il n’est PAS paradoxal de prôner la mixité et de s’inquiéter de la proportion H/F tant que celle-ci est loin de la proportion « idéale » 50/50. C’est le contraire qui serait paradoxal car, comme vous le dites très justement, il n’y a aucune raison valable pour qu’aux échecs il y ait si peu de femmes.

      2) Je suis d’accord avec vous que toujours idéalement, la licence ne devrait pas prendre en compte le sexe de la personne qui la possède, que l’on devrait supprimer toutes ces notions dans le règlement et à tous les niveaux… mais j’insiste sur le « idéalement » car vous êtes bien obligé d’admettre qu’actuellement il y a un biais de représentativité. Dans un monde idéal, il ne doit pas y avoir de quotas et il n’y a aucune raison pour qu’il y en ait mais l’expérience montre que l’évolution vers l’idéal est très très lente… D’où l’idée d’imposer (temporairement) des quotas afin d’accélérer les choses. La question (non résolue) est de savoir quand il faut basculer d’un régime de quota à leur suppression, pour cause de non utilité. C’est là toute l’épineuse question des quotas.
      3) 30% de filles, très bien mais cela n’a rien de particulièrement exceptionnel vu la proportion de femmes à la FFE… qu’elles soient équitablement réparties dans le classement est, encore une fois, heureux et normal. Je ne vois donc pas ce que cet exemple, pour plaisant qu’il soit, contredirait ce que j’ai écrit, mais peut-être n’était-ce pas là votre but en le citant.
      4) J’approuve les termes « d’absurde différence » et de « sport intellectuel par excellence ».

  2. Bonjour,

    Je reviens sur 3 de vos 4 points :
    1) Vous écrivez « comme vous le dites très justement, il n’y a aucune raison valable pour qu’aux échecs il y ait si peu de femmes ». Le problème c’est que je n’ai pas écrit ça et que je pense le contraire. Bien sûr qu’il y a des raisons valables, elles sont essentiellement culturelles.
    2) Mais pourquoi vouloir une représentation équitable des hommes et des femmes ? C’est aussi absurde que de vouloir une représentation des chauves en rapport avec leur fréquence dans la population. Compter le nombre de femmes et d’hommes c’est souhaiter des traitements différents en fonction du sexe sinon pourquoi compter ?
    3) Effectivement les stats de ce tournoi n’ont rien d’exceptionnel puisqu’elles se veulent un exemple de la normalité et montrent qu’il n’y a pas besoin de prix féminins pour attirer les joueuses.

  3. Bonjour,
    1) »le problème, c’est que je n’ai pas écrit cela ». Effectivement, j’ai commis un raccourci malheureux, je vous présente mes excuses. Cela dit, je pense que les raisons culturelles qui mènent à cet état de fait ne sont pas particulièrement « valables ».
    2) Quid de quotas pour les chauves (pour reprendre votre exemple)? La différence entre les femmes et les chauves, c’est que personne, à ma connaissance, n’utilise le fait qu’une personne soit chauve pour en déduire qu’elle est « forcément » moins bonne ou meilleure aux échecs que toute autre partie de la population. J’ajoute que je pense que la proportion de chauves à la FFE doit être à peu près égale à celle qu’elle est dans la population générale et que très majoritairement, les personnes chauves sont des hommes. Conclusion, les chauves sont bien meilleurs que les femmes aux échecs, où comment obtenir une conclusion dénuée d’intérêt à partir d’étapes qui ont l’air d’être logiques.
    3) Pourquoi compter ? Justement pour vérifier que les raisons culturelles n’ont pas la part belle dans un phénomène qui ne devrait pas en pâtir… Sans chiffres, comment savoir ?
    4) Pas besoin de prix féminins: entièrement d’accord. J’ai d’ailleurs prêché pour une suppression de ceux-ci au tournoi de mon club dans un précédent texte.

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