Quand il est arrivé dans la salle de jeu, l’un de mes joueurs s’est écrié « Oh mais qu’est-ce qu’il y a comme joueuses ! J’ai jamais vu ça dans un tournoi… Attends, j’ai l’impression qu’il y a autant de joueurs que de joueuses, je vais compter… » Il a donc commencé à compter, jusqu’à ce qu’un autre joueur de l’équipe lui tape sur l’épaule en souriant et lui dise « Mais tu sais, on est à la Coupe de la parité, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes, c’est précisément le principe ! » Donc, voilà, c’est ça La Coupe de la Parité : une journée ou deux où, aux échecs, on fait comme si, comme dans la vraie vie, avec autant d’hommes que de femmes dans la salle, un peu comme si c’était normal aux échecs. Je sais que pour certaines joueuses ce type de compétitions, comme les tournois féminins, donne un peu l’impression de jouer dans une réserve naturelle, mais j’aime beaucoup cette compétition. Je l’ai jouée à chaque fois que j’ai pu, ne dépassant néanmoins jamais la phase Ligue. L’ambiance est agréable, et je trouve que c’est une bonne idée de faire jouer des équipes mixtes et aussi, si possible, de faire jouer des joueurs contre des joueuses. Elle me semble toujours un bon indice de la recherche de mixité dans les clubs : si un club est capable de faire une équipe mixte, cela veut dire qu’ils ont au moins deux joueuses, qu’elles ont envie de faire de la compétition au moins une fois dans l’année et qu’il y a des joueurs qui ont envie de participer avec elles. Et tous les clubs n’ont pas ça.
Du point de vue réglementaire ça se joue par équipes de quatre, chacune composée de deux joueurs et deux joueuses (avec éventuellement un et une remplaçant-e), le total Elo des joueurs ne devant pas dépasser 8000 points à la cadence FFE 50min+10s/coup. Les joueurs sont classés selon leur élo (le plus fort est à l’échiquier 1, le plus faible au 4) avec possibilité d’inverser deux joueurs si leur différence d’elo est de moins de 100 points.
Cette année c’était mieux…
Jusqu’à présent je me disais que cette cadence qui ne compte pas pour le Elo Fide freinait l’envie de participer à cette coupe, mais je constate que la participation augmente. L’année dernière en Île-de-France, la phase Ligue, qui se déroulait comme cette année dans Paris intra-muros, avait accueilli 6 équipes. Cette année c’est monté à 9 équipes représentant 8 clubs et je dois dire que dans le détail pas mal de choses vont un peu mieux. La convivialité de la compétition et une date sans doute bien choisie ont sans doute amené l’envie d’y participer, même si elle compte « pour du beurre » (c’est à dire pour le Elo FFE).
En IDF, l’an dernier, d’un point de vue « promotion des échecs féminins », c’était une grosse déprime. Sur 6 équipes, quatre avaient placé leurs joueurs aux échiquiers 1 et 2 et leurs joueuses aux 3 et 4 (appelons ça la composition MMFF). Les deux seules équipes à avoir une joueuse sur l’un des deux premiers échiquiers étaient celles dont le total Elo était le plus faible. Et une seule équipe (la mienne) avait une femme pour capitaine. Quand je posais la question sur ces points aux autres équipes, on me répondait « c’est pas très important qui est capitaine dans ce genre de compétition » et « les garçons sont devant parce qu’ils sont plus forts. » Je veux bien croire qu’un capitaine d’équipe, dans une compétition d’une journée, a rarement un rôle crucial (même si motiver les joueurs et signaler l’opportunité de proposer nulle, ce n’est pas un détail). Mais justement, comme une telle compétition est une bonne occasion pour une joueuse de se faire la main comme capitaine, les clubs devraient les y pousser. Et pour le reste oui, dans beaucoup de clubs les masculins sont souvent globalement plus forts que les féminines. Mais constater que, dans les faits, à la Coupe de la parité, les femmes jouent contre les femmes et les hommes contre les hommes dans des équipes menées par des hommes, c’est quand même tristoune comme vision de la « parité ». C’est bien beau d’être dans des équipes mixtes, mais si ça devient une extension de la « féminine obligatoire », trop souvent cantonnée au huitième échiquier à jouer contre son homologue du club adverse, je ne vois pas trop l’intérêt…
Cette année, sur ces questions, ça s’arrangeait et c’était une vraie bonne surprise. Sur neuf équipes, quatre avaient donc des capitaines féminines. Quatre équipes avaient aussi une joueuse à un de leurs deux premiers échiquiers (composition FMMF ou MFMF) tandis que les cinq autres étaient toujours sur le mode « les hommes devant, les femmes derrière » (ne rêvons pas trop : aucun équipe, évidemment, n’avaient mis deux joueuses aux deux premiers.)
Néanmoins…
Si on regarde encore plus dans le détail, échiquier par échiquier (attention, ça devient un peu aride comme manière de compter), une seule équipe avait une joueuse au premier. Trois équipes avaient une femme au deuxième. Sept joueuses occupaient un troisième échiquier, sept encore occupaient le quatrième de leur équipe (ce qui fait donc huit joueurs masculins aux premiers échiquiers, six aux seconds, et trois aux troisièmes comme aux quatrièmes). Donc 14 femmes aux 3 et 4 pour 6 hommes (et 14 hommes pour six femmes aux 1 et 2). Ce qui signifie que si vous êtes une femme et que vous jouiez au troisième ou au quatrième vous aviez deux fois plus de chances d’affronter des féminines que des masculins à chaque match, et inversement pour les hommes aux 1 et 2. Vous allez me dire que ce n’est pas si grave : après tout, les joueuses féminines jouent très souvent contre des hommes en tournoi individuel, alors ce n’est pas un problème qu’elles jouent entre elles une fois par an… Oui mais les joueurs masculins jouent beaucoup plus rarement contre des femmes. Et une telle compétition devrait peut-être servir à ça, à voir qu’on peut jouer dans la même journée autant contre des femmes que contre des hommes, et que ce n’est pas nécessairement différent comme manière de jouer (ou alors je n’ai pas compris du tout à quoi sert cette compétition, c’est possible aussi.)
J’ai regardé les tableaux de la phase finale de la Coupe. Sur 16 équipes qualifiées, 15 ont disputé la compétition. La composition peut un peu varier (on a le droit d’inscrire trois joueurs et trois joueuses pour assurer un remplacement) mais sur la ronde 1 comme sur la ronde 5 on ne trouve pas moins de 12 équipes qui ont aligné leurs joueurs selon la composition MMFF (« les hommes devant les femmes derrière »). Seules trois plaçaient une joueuse à l’un des deux premiers échiquiers (Nîmes, troisième de la coupe avec une composition FMMF, Garches qui fait cinquième avec le même type de composition, et Gonfreville, treizième, avec MFMF).
Je comprends bien qu’on vient pour jouer, qu’on est heureux d’avoir une équipe qui fonctionne bien, et qu’on peut se dire à première vue que l’essentiel est de faire jouer des hommes et des femmes dans la même équipe. Et les échos que j’ai eus de cette phase finale étaient très positifs : une compétition conviviale, un cadre magnifique, que du bonheur. Il n’empêche que ça me fait quand même bizarre que ce soit ça, la parité aux échecs : être quasi certain qu’on va tomber contre quelqu’un du même sexe comme adversaire. Je me demande souvent ce que ça donnerait si on rajoutait un article dans le règlement qui impose qu’au moins une femme doive se trouver sur l’un des premiers échiquiers. Est-ce qu’on aurait alors uniquement la composition MFMF et ça reviendrait au même ? Est-ce que limiter la différence Elo entre les joueurs et les joueuses serait une solution ? (sans arriver à une usine à gaz réglementaire, évidemment). Ou est-ce qu’on ne devrait pas avoir tout simplement la même formule que pour la Coupe de France : se débarrasser de la règle des 100 points et permettre de mélanger les classements Elo ? Juste histoire que ce soit un peu plus comme dans la vraie vie, un monde où les hommes et les femmes sont mélangés, et pas toujours « les hommes devant les femmes derrière »…