Pour aujourd’hui, c’est Sonia Bogdanovsky, qui se définit elle-même comme une « joueuse de base », qui donne son point de vue sur le label féminin décerné par la FFE. Bonne lecture de ce décryptage sans concessions.
Les personnes qui cherchent à «promouvoir la femme dans les échecs» à la FFE veulent sans doute réellement que les échecs se féminisent, afin qu’on arrive à une fédération où il y aura autant de joueurs que de joueuses et où, en haut niveau, les femmes seront aussi fortes que les hommes. Et sur cela, je suis de tout cœur avec eux.
Mais je suis loin de partager leur vision de «la femme» et des moyens utiles et nécessaires pour la «promouvoir» en tant que joueuse. Je l’ai compris quand je suis tombée sur un petit symbole rose violacé sur le site de la FFE à côté du nom d’un club. En cherchant, j’ai découvert que cela voulait dire que ce club était titulaire du « Label club échecs au féminin » de la FFE. 48 clubs sont actuellement titulaires de ce label en France (la liste est disponible sur le site de la fédération, dans l’onglet «féminines»; liste des clubs labellisés 2015-2017). Ils ont le droit de mettre en avant cette distinction dans leur communication avec leurs partenaires privés et les institutions publiques, et la ville où ils se trouvent reçoit une lettre pour signaler la labellisation.
Au départ, l’idée m’a enthousiasmée et je me suis dit que mon club actuel l’obtiendrait facilement : il y a «beaucoup» de femmes par rapport à la plupart des clubs (20% de l’effectif), dont plusieurs à y être capitaine ou à l’avoir été, et on y est considérée comme des membres du club à part entière. Ensuite j’ai lu la Charte pour l’obtention du Label club féminin. Elle contient toute de série de mesures (dont on ne sait pas trop si ce sont des propositions ou des obligations) visant à ce que les femmes se sentent bien dans un club. Et je me suis demandé si j’avais envie que le mien y soit associé.
« Pour les femmes ou pour tous »
Bien sûr, il y a plein de choses très intéressantes, comme faire prendre des responsabilités aux joueuses: le club doit les inciter à être capitaines d’équipes, à passer des diplômes d’arbitres ou de formatrices ou encore à avoir une place dans le bureau du club. On demande de valoriser leurs actions, de les faire travailler en binôme, de les accueillir, c’est merveilleux. Et puis… Et puis il y pas mal de propositions où on sent bien qu’on ne sait pas trop ce qu’on dit, on cherche des choses qui vont plaire aux femmes tout en se souvenant qu’il ne faut pas discriminer, on mélange un peu la notion de « femme » avec celle de «mère » et de « famille » (ça sent bon les années 1950, tout ça… )
La charte se prend ainsi régulièrement les pieds dans le tapis en demandant des améliorations pour les femmes, et en ajoutant immédiatement après que ce doit être fait «aussi pour les hommes» : on demande ainsi «l’organisation de tournois féminins ou mixtes, avec petites récompenses pour tous», «des portes ouvertes organisées pour les femmes ou pour tous», «Disponibilité d’une personne pour accueillir les nouvelles arrivantes (ainsi que les nouveaux arrivants)», «ouverture de certaines réunions de bureau aux femmes et aux hommes intéressés par la gestion du club»… En fait, on veut que les clubs soient accueillants et actifs, aussi bien pour les femmes que pour les hommes ? C’est super, mais pourquoi pas ne pas travailler directement sur la convivialité pour tous ?
Attentes féminines, espace crèche, animations famille et tarif compagne
Pour le reste, on trouve donc une vision étrange de ce que serait «la femme». On demande par exemple ici la «promotion de notre sport par des messages adaptés aux attentes féminines». Ah. C’est quoi, les attentes féminines ? Un bon de réduction chez Zara à gagner au tournoi du club ? Un partenariat avec Weight Watcher ? Aucun exemple n’est donné de ce que peuvent être ces attentes propres aux femmes. Le mystère restera entier.
Une joueuse semble être ici une femme qui a des enfants, et dont l’activité principale est de s’en occuper. Le texte contient une fois le mot «mère», trois fois le mot « maman » et trois fois le mot « famille». Il serait en premier lieu bon que la FFE comprenne que le mot «maman» appartient au cadre familial. Quand elle l’utilise au lieu du mot «mère», ça revient à renvoyer la femme dans l’univers privé et intime, ce qui n’est pas ce que j’attends d’une fédération sportive. Mais ce n’est pas le plus gros problème.
Parmi les bons conseils pour promouvoir les femmes dans les échecs on découvre donc que le club doit ouvrir à l’heure où les «mamans» ont du temps libre, c’est-à-dire quand les enfants sont à l’école (la «maman» est ainsi chômeuse ou mère au foyer, elle ne part pas travailler quand les enfants sont à l’école). Il faut aussi que le club fasse des animations «échecs ou autres» pour les jeunes enfants (un espace crèche ?) pendant que leurs «mamans» sont là, afin qu’elles puissent jouer tranquilles (on notera que la joueuse ne peut pas laisser sa progéniture au «papa», qui a certainement plus important à faire que de s’occuper de ses gamins.) Le club doit aussi organiser des animations «famille ou inter-famille» pour «mamans et enfants» (idem : le «papa» ne fait même pas partie de la famille…) L’aspect tarifaire n’est pas oublié : la charte conseille des tarifs dégressifs pour la mère d’enfants inscrits (mais pas pour le père, no comment), à la ligne suivante elle demande des «tarifs famille» (ah, là, peut-être que «papa» a enfin ses chances d’avoir une réduc).
Tous les points de cette charte qui concernent les «mamans» concernent les familles. Rien de spécifiquement féminin là-dedans. J’ai déjà vu un joueur faire des blitz au club à côté de la poussette de son bébé, et, en résidence alternée, les pères divorcés ont autant de problèmes de garde d’enfants que les mères. Je n’ai rien contre les femmes qui ont des enfants, je comprends qu’il leur est souvent difficile de s’organiser, mais une sourde intuition me dit qu’elles n’ont pas envie de n’être considérées que comme des «mamans»…
Heureusement la charte n’oublie pas qu’une joueuse n’est pas seulement une mère, c’est aussi une épouse : on propose des tarifs dégressifs pour la compagne d’un joueur. Ainsi, si mon copain s’inscrit, il n’aura pas de tarif dégressif, mais moi j’en aurai grâce à lui. Si je faisais du mauvais esprit, je trouverais ça discriminatoire. Et, au fait, pour un couple de femmes, ils font comment ? Oh, pardon, il y a un tarif dégressif si une joueuse parraine une amie… Le plus simple serait sans doute de proposer un tarif couple, on espère que la FFE y pensera dans une prochaine version de cette charte.
Essayez encore
Le texte demande aussi l’inscription d’équipes du club aux Interclubs Féminins et à la Coupe de la Parité. Bel effort, mais c’est d’abord à la FFE de faire en sorte que ces compétitions attirent les joueuses. Ce sujet est trop ample pour être évoqué ici, mais il y a un véritable travail à mener au niveau national comme au niveau des ligues pour que ces compétitions attirent des joueuses, ne serait-ce qu’en choisissant des cadences de jeu qui permettent que les parties comptent pour le elo FIDE de leurs participant-e-s.
Accessoirement, si on veut rendre ces compétitions intéressantes il faut que les joueuses aient un minimum de niveau. Et c’est là qu’on constate une sérieuse lacune dans la charte pour le label club féminin : la question des cours ou de l’entrainement n’est jamais explicitement abordée. Il y a bien la «nomination d’une marraine chargée d’accueillir les nouvelles venues et de les guider dans leur progression» dans le chapitre «accession des femmes aux fonctions dirigeantes et à l’encadrement». Mais, tel que c’est dit, ça ressemble plus à donner une responsabilité à une femme, pas à se concentrer sur les cours. Et je ne vois pas pourquoi ce serait nécessairement une femme qui devrait aider à la progression des autres joueuses. Peut-être est-ce aussi en filigrane dans l’offre tarifaire, les femmes pourraient avoir des réductions sur le prix des cours (mais ce n’est qu’une interprétation de ma part, ce n’est pas dit dans le texte). On parle aussi de «valoriser la performance des jeunes filles» (c’est bien, mais pourquoi elles et pas les autres ?) mais globalement la charte se concentre sur l’expérience sociale qu’on peut vivre dans un club.
Je crois que c’est une erreur que de négliger l’enseignement du jeu d’échecs et l’entrainement aux compétitions. Puisque la charte incite à des animations pour recruter de nouvelles joueuses, il ne faut pas oublier que ces débutantes peuvent être intimidées et angoissées à l’idée de jouer leurs premières compétitions. J’ai vu des joueuses adultes vivre leurs premières parties sérieuses en N2F parce qu’on leur a dit qu’il manque un quatrième échiquier. Ce n’est pas facile, quand on débute à plus de quarante ans, d’aller affronter des jeunes qui jouent parfois depuis 5 ou 6 ans et ont un bien meilleur niveau. Si on veut que ces débutantes prennent goût à la compétition, il faut les accompagner. Dans mon club un fort joueur a accepté de donner bénévolement quelques séances de cours aux joueuses dans la période qui précédait la N2F, ce qui compte beaucoup pour celles qui ne prennent habituellement pas de cours et dont c’est l’une des premières compétitions. J’ai aussi vu un club dépêcher un fort joueur pour accompagner une équipe féminine, non pas pour être capitaine mais pour analyser les parties entre les rondes, c’est un vrai plus pour certaines des joueuses qui se sentent valorisées et peuvent gagner en confiance. Si on veut des femmes qui restent dans les clubs, il faut qu’elles aient du plaisir à jouer et on a beaucoup plus de plaisir quand on gagne en niveau.
En conclusion, quand je lis cette charte, j’ai la sensation de voir un brouillon intéressant mais pas un texte abouti (sensation accentuée par les variations de police d’écriture du texte, comme si on avait rajouté des choses au dernier moment). Un projet basé avant tout sur la convivialité et où l’aspect sportif est plus négligé, où on a cherché à mettre un maximum de choses sans toujours se poser les bonnes questions, et où on continue à penser qu’une femme a toujours un enfant accroché au bout de son bras. J’espère que la FFE ne s’en tiendra pas à ça et poussera sa réflexion plus loin pour arriver à produire quelque chose de réellement intéressant qui incite à une vraie féminisation des clubs.
Sonia Bogdanovsky