« Oh, ça va, tout le monde rigole ! »

Dessin en noir et blanc d'un groupe composé surtout d'hommes, spectateurs sur des gradins, la plupart rient en regardant du même côté.

À A., à F., à J., à L., à M., et à P., principalement.
Mais en fait, tout ça est tellement courant
que je pourrais faire une dédicace à tout l’alphabet…

Je suis arbitre depuis 2012. Quand j’ai débuté, on nous parlait du dopage dans les formations d’arbitre. C’était un sujet courant. Avec le développement de la triche électronique, on n’en parle presque plus. Si le dopage est abordé dans le code de l’éthique de la FIDE, le chapitre des directives contre la tricherie n’en traite pas directement. Est-ce qu’il n’y a plus aucun joueur qui se dope, prenant des bêtabloquants pour contrôler ses battements de cœur, ou d’autres drogues pour se sentir « performant » au risque de se détruire la santé ? Sans doute que cela n’a pas disparu. Mais parfois, quand j’en parle à d’autres arbitres, j’ai l’impression que ça ne compte plus, car nous sommes à l’époque où la priorité est la lutte contre la triche électronique, qui semble beaucoup plus importante.
C’est un peu pareil avec le sexisme. Depuis que la FFE se penche sur les agressions sexuelles et organise une prévention absolument nécessaire contre elles, quand on évoque le sexisme si ordinaire et présent dans les échecs, on a parfois l’impression qu’on vient ennuyer les gens avec des détails, car il y a beaucoup plus grave1. Oui, une agression sexuelle est indéniablement plus grave qu’une remarque sexiste. Mais lutter contre le sexisme reste important, particulièrement dans une fédération où le nombre de femmes avoisine les 20%.

Le sexisme peut s’incarner dans des manières de (dé)considérer les femmes, de leur parler, ou dans des « blagues » bien lourdes qu’on va entendre dans certains clubs. Ce qui est valable pour le sexisme à l’égard des femmes l’est souvent pour l’homophobie à l’égard des homosexuel-le-s ou pour la transphobie à l’égard des personnes trans. Ici, nous allons parler des blagues lourdes, de leur impact et de comment essayer de se défendre face à ce type d’humour.



C’est si important que ça de lutter contre les blagues lourdes ? C’est juste de l’humour, faut pas se formaliser pour ça !

Oui, c’est important de lutter contre le sexisme, et les blagues grasses ne sont pas anodines. Tout d’abord parce qu’une ambiance sexiste est un milieu qui va permettre les violences sexuelles. Il y a un peu plus d’un an paraissait dans le magazine L’Équipe le témoignage de huit joueuses. Dès le chapô, l’article parle de la « culture sexiste » des échecs, et des « violences qui en découlent ». Il est en effet beaucoup plus simple de traiter une femme comme un bout de viande si on est habitué, par des « blagues », à considérer qu’elle est un être inférieur. Et c’est encore plus facile si, grâce à ces mêmes « blagues » elle accepte d’être dévalorisée. Mathilde Congiu (par ailleurs membre d’E&M) déclarait dans cet article :

« J’ai réalisé à quel point j’avais moi-même intégré des comportements qui sont inacceptables, notamment des blagues récurrentes chez les joueurs vis-à-vis des filles, auxquelles je rigolais. Toutes les femmes rigolaient, sinon elles étaient rejetées. J’avais accepté ce rabaissement systématique qui a fini par avoir un vrai impact sur ma vie. Mais à un moment, j’ai arrêté de rire. »

Personnellement, dans les quatre clubs que j’ai fréquentés depuis 20 ans, il y en a trois où j’ai eu ce genre de problèmes, dont un où ce type de blagues étaient pratiqué par un ou deux très vieux messieurs auxquels je m’efforçais de ne pas faire attention. Ce n’est donc pas systématique, ce n’est pas partout ni tout le temps, mais quand ça arrive, c’est vite suffisant pour être insupportable. J’ai notamment été membre d’un club parisien où le « second degré » était de mise. On aimait beaucoup plaisanter, là-bas, et on se disait féministe. Donc on faisait des blagues sexistes mais au second degré, avec l’air de ne pas y toucher. Les gens qui faisaient ce genre de blagues étaient pour l’égalité entre les hommes et les femmes et ne se rendaient pas compte de l’impact que pouvait avoir certaines de leurs plaisanteries. Lors d’un dîner du club, le président, assis pas loin de moi, faisait par exemple régulièrement des remarques sexistes auxquelles je réagissais, puis criait « TROLL !!! » pour faire comprendre qu’il plaisantait et que j’étais encore tombée dans le panneau. Pour lui ça avait l’air très drôle. Pour moi non, surtout au bout de la troisième ou quatrième fois.
Au second degré toujours, il disait « Ah, les femmes entre elles ! » dès qu’il pouvait y avoir un problème entre deux joueuses, ou « Encore des histoires de nanas ». Tout ça n’a pas l’air bien méchant. Sauf que quand j’ai eu un réel problème avec une autre adhérente (nous étions toutes deux capitaines d’équipes et elle avait retenu un joueur de mon équipe sur un match, sans me demander si je comptais le faire jouer ; elle a été tout de suite très violente verbalement et insultante quand je lui ai fait la remarque par mail), j’ai eu vraiment du mal à oser m’en ouvrir au président du club. J’étais angoissée à l’idée qu’il réponde que c’étaient « des histoires de nanas », qu’il ne prenne pas ça au sérieux… Ça s’est bien terminé, mais puisqu’on est dans un milieu où il y a peu de femmes : nous sommes en minorité, si en plus on se moque de nous, comment voulez-vous qu’on ait confiance en nous-mêmes ? Qu’on puisse agir ? Qu’on fasse confiance aux autres pour demander de l’aide ? Si vous voulez blaguer et énerver des gens, au premier ou au 36e degré, pourquoi ne pas vous en prendre plutôt à ceux qui ont plus de pouvoir que vous, plutôt qu’aux quelques adhérentes de votre club ? Est-ce que c’est si drôle qu’elles soient mal à l’aise ? Est-ce que vous voulez vraiment qu’elles se sentent si peu prises au sérieux qu’elles soient incapables de défendre leurs droits ?


Mais si tout le monde rigole, c’est bien que tout le monde trouve ça drôle !

Groupe de huit personnes, hommes et femmes d'âges divers, majoritairement blancs avec un homme noir au milieu, qui sourient en ouvrant la bouche et en montrant leurs dents bien blanches. Ils sont tous l'ai de rire, mais ça ne fait pas une impression très naturelle, on sent la photo posée.
Sur cette image, « tout le monde rigole. » Pensez-vous vraiment que « tout le monde » soit sincèrement amusé ?

Non, ce n’est pas parce que « tout le monde rigole » que tout le monde trouve ça drôle. On rit parfois pour appartenir au groupe, pour ne pas être rejeté-e, parce qu’on n’ose pas prendre la parole pour dire qu’il y a un problème. « Oui mais c’est de l’humour, on rigole, on n’est pas sérieux ! » Lorsque cet humour est dégradant à l’encontre de quelqu’un, ce n’est pas drôle et ça devient sérieux.

J’ai vécu un autre exemple du « tout le monde rigole » qui m’a mise très mal à l’aise même s’il ne me concernait pas directement. Je me trouvais au pointage d’une finale de compétition fédérale par équipe. L’organisateur était présent ainsi que d’autres arbitres masculins plus titrés et chevronnés que moi. Une équipe se présente, elle comporte deux féminines, six masculins et un capitaine, soit deux femmes et sept hommes, parmi eux de jeunes adolescent-e-s. Le capitaine explique qu’il devait y avoir une autre joueuse dans l’équipe mais elle est malade et a été remplacée au dernier moment par un joueur. L’organisateur l’informe qu’il a réservé une chambre de six et une chambre de trois pour l’équipe, donc ça pose problème car ils sont maintenant sept masculins, il n’y a pas de chambres de plus de six lits, il va falloir trouver une solution. Le capitaine répond en riant « Oh mais vous inquiétez pas, on peut arranger ça, un petit couteau… N’est-ce pas, Théo2 ?! » et il se tourne vers un joueur de 14 ans. Le gamin répond, en riant lui aussi « Oh non ! Oh non ! » Et le capitaine insiste « mais si, un petit couteau et ce sera réglé… » Ils ont continué sur ce mode, et, voyant que personne ne réagissait3, je me suis levée, j’ai regardé Théo et je lui ai dit en souriant « T’es pas forcé d’accepter les blagues lourdes ! »
Tout le monde rigolait, mais est-ce que tout le monde trouvait ça drôle ? D’ici quelques années, si cet adolescent, ou un-e autre qui était présent-e, s’interroge sur son identité ou ses désirs, est-ce que cette personne trouvera toujours ça drôle ? Ou si un-e des jeunes présent-e-s a simplement un-e ami-e qui souhaite effectuer une transition de genre, et qui souffre d’être harcelé-e au lycée pour ça, est-ce qu’iel trouvera toujours ça drôle ?

Tableau vertical représentant à gauche deux hommes qui regardent une femme. Ils sont au bord d'une étendue d'eau et elle ne peut remonter. Elle est à droite, les pieds dans l'eau, elle à l'air d'avoir peur, elle couvre d'un drap qui laisse passer un de ses seins. Ses bras sont en X sur sa poitrine, elle relève son épaule droite comme pour se protéger des deux hommes.
Suzanne et les vieillards, École de Théodore Chassériau, Collection du Musée du Louvre.

En tout cas pour moi ça n’était pas drôle. En tant que femme cisgenre4 je ne me considère pas comme « un homme avec un truc en moins », comme le suggérait cette blague. Je suis fatiguée d’entendre ça. Comprenez bien que ce n’est pas juste une blague, c’est la millième plaisanterie que j’entends sur ce thème. Je trouve ça humiliant, en tant que femme, qu’on me répète régulièrement que je suis moins qu’un homme5. Je ne vois d’ailleurs pas comment on peut prétendre aller vers l’égalité femmes / hommes si on continue à prétendre qu’une femme n’est qu’une version diminuée d’un homme.

Cette blague est bien sûr aussi transphobe car une transition de genre ne se réduit évidemment pas à un charcutage comme l’évoquait ce capitaine d’équipe. Nous nous trouvions à une finale Nationale de Compétition FFE, on n’a pas à entendre là des blagues sexistes, proférées devant des mineur-e-s par un responsable d’équipe, et qui sexualisent ainsi une ambiance qui n’a pas à l’être. J’aurais bien aimé que les autres arbitres présents réagissent, oui mais voilà : tout le monde rigolait. J’ai fini par me lever et faire cette remarque sans doute pas énorme, qui n’aura aucun effet sur le capitaine d’équipe en question, mais qui au moins fera que si un jour les ados présent-e-s ce jour-là s’en souviennent, iels pourront se dire qu’au moins quelqu’un a dit quelque chose. C’est important qu’on ne puisse pas dire « …et personne n’a réagi. »


T’as pas l’impression de casser l’ambiance ?!

Rire ensemble, c’est une manière de souder un groupe. Mathilde Congiu le dit bien : « Toutes les femmes rigolaient, sinon elles étaient rejetées. » Quand quelqu’un vous fait rire, il montre qu’il partage avec vous une manière de penser. Rire en groupe, c’est montrer qu’on pense de la même façon, au moins le temps de la blague. On rit aussi des autres, souvent ensemble, pour se rassurer. Se rassurer sur sa virilité (« Ah les nanas ! Nous on n’est pas comme ça ! ») ou se rassurer sur sa « normalité » (« Nous on est des vrais mecs, on est normaux, on change pas de sexe et on n’est pas des pédés ! »).

Je me souviens d’une réunion avec des responsables de clubs où on évoquait des compétitions féminines, et, je ne sais plus comment on en est arrivé là, mais un responsable a dit « Ouais mais maintenant, on sait plus qui est une femme et qui est un homme. » C’était juste après que la FFE a accepté le passage en licence féminine de trois joueuses transgenres.
Messieurs, si vous faites ce genre de « blagues », c’est que c’est visiblement un peu complexe pour vous, vous trouvez ça confus car on vous a appris qu’on était soit un homme, soit une femme, et que ça ne changeait pas. Néanmoins la réalité est différente et bien plus compliquée. Vous n’avez pas à en avoir peur : ça ne vous menace en rien, ça ne change rien à vos vies, alors pas la peine de sortir ce genre de blagues pour vous rassurer. Rappelons que la FFE a accepté ces changements parce que la médecin fédérale a témoigné que les joueuses concernées souffraient d’être considérées comme des hommes, au point que leur santé était en danger6. Alors comprenez que la vie est sans doute plus difficile à ce niveau pour elles que pour vous.
Nous étions trois femmes dans cette réunion de responsables de clubs, dont deux arbitres, et nous avons toutes deux répondu tout de suite, sans nous concerter, « S’il y a un F sur la licence, pour moi c’est une joueuse. » Et puis on a continué la réunion, tout s’est bien passé ensuite.


Bien sûr, je parle là d’une réunion des responsables de clubs censée être plus formelle que des échanges entre joueurs. Car entre les membres d’un même club, on sait que la convivialité est souvent primordiale pour garder des adhérents ; tout comme souder un groupe est crucial quand on joue en équipe. On peut craindre que si on se passe de ce genre d’humour, ou si on demande à ceux qui le pratiquent d’arrêter ce genre de blagues, on risque de perdre quelque chose. Mais est-ce qu’on ne peut pas souder le groupe autrement ? Est-ce que faire des blagues grasses est la seule manière de créer de la convivialité ? Vous connaissez les réponses à ces questions. Oui, si on ne rit plus au blagues lourdingues et offensantes pour certain-e-s, ça changera un petit peu le groupe. Ça changera un petit peu l’ambiance. Mais est-ce qu’on va y perdre tant que ça ? Et est-ce que d’autres ne s’y sentiront pas mieux ? Est-ce que le groupe ne continuera pas à exister, d’une autre manière, peut-être meilleure ? Est-ce qu’on ne va pas gagner plus que ce qu’on perd ?


Oh, allez, nous on trouve ça drôle, on a bien le droit de blaguer entre nous !

C’est vrai, ça, on a bien le droit. Enfin, dans les limites de la loi, qui réprime les actes et les paroles discriminatoires. Mais bon, c’est vrai, si on trouve ça drôle, nous, dans notre club, dans notre équipe ou dans un tournoi, entre nous, pourquoi on ne le ferait pas ? On est des gens bien : tolérants, ouverts, sympas, pas misogynes ni homophobes ni transphobes pour un sou. On aime juste rire aux blagues lourdingues misogynes, homophobes ou transphobes, c’est tout, mais c’est pas sérieux. On en fait une de temps en temps, c’est pas si grave ! On n’est pas bien, là, entre amateurs d’humour de gros lourds, à rire de nos blagues grasses ? Pourquoi on devrait changer ?


Soit. Après tout, pourquoi pas ? Imaginons que votre club choisisse de privilégier « l’ambiance » au détriment de ce que ressentent certains joueurs et joueuses. Qu’il fasse passer « l’humour » devant la simple décence et le respect dû à chacun. Admettons. Faisons abstraction des questions de financements publics : votre ville, votre département ou votre région n’ont peut-être pas envie de financer éternellement un boy’s club qui ne fait rien pour se féminiser. Mettons de côté aussi le plan de féminisation de la FFE qui est nécessaire pour la conservation de l’agrément sportif. Allons-y.

Panneau où est écrit en grec et en anglais « Il est interdit aux femmes d'entrer dans le monastère, sauf le dimanche ».
« Il est interdit aux femmes d’entrer dans le monastère, sauf le dimanche. »

C’est sans doute tout à fait possible de faire ça pour un club qui ne souhaite pas se développer. Qui n’a pas envie de garder ses jeunes, qui n’a pas envie d’attirer des adhérentes, des femmes qui représentent pourtant une importante marge de progression possible pour le nombre de licences. N’oublions pas aussi que, comme on l’a dit, si « tout le monde rigole », tout le monde ne trouve pas forcément ça drôle. Et qu’à la énième blague, à la fin de la saison, des joueurs, qui rigolaient parfois avec les autres, peuvent se dire qu’ils ont envie d’une autre ambiance, et partir voir dans un autre club si l’air y est plus respirable, voire carrément arrêter les échecs. Par ailleurs, on trouve toujours plus lourd que soi. On n’est pas à l’abri, soi-même, alors qu’on a pourtant trouvé ça drôle la première, la deuxième, la dixième fois, qu’au bout de la centième blague lourde on se demande ce qu’on fait là. Comme me l’a un jour dit un Maître International qui joue la Coupe de la Parité et tient à avoir une bonne proportion de joueuses dans son club : « je ne viens pas à une compétition d’échecs pour me retrouver dans un vestiaire de rugby. »
Un club qui accepte ce type d’ambiance prend tout simplement le risque de ne pas se développer et de faire fuir celles et ceux qui passent la porte pour savoir s’iels ont envie de s’y inscrire. Est-ce que c’est ça que vous voulez pour votre club ?


Mais c’est pas simple d’intervenir ! J’ai pas envie de passer pour l’emmerdeuse ou l’emmerdeur de service !

La discussion est anonymisé mais on voit en haut la mention « Club échecs ». L’image arrêtée de la vidéo montre une femme jeune et sexy, déguisée en mère Noël, qui sourit en mettant un doigt dans sa bouche.
Capture d’écran du groupe What’s app d’un club Luxembourgeois. La vidéo en haut est envoyée avec la mention « Bonnes vacances ! » et une joueuse répond en bas « C’est SUPER sexiste. »
La joueuse qui a reçu cela s’est battu pour faire supprimer le post en question (reposté par un deuxième membre) et a fini par quitter le club après lui avoir mis un avis négatif sur Google.

Je suis bien d’accord, ce n’est pas simple. En revanche, plus on intervient, plus il est facile d’intervenir la fois suivante. On peut commencer par s’adresser à la hiérarchie de la structure. Parler au président ou à la présidente du club, au capitaine de l’équipe, à l’administrateur ou l’administratrice du groupe What’s app du club. J’en profite pour faire un aparté sur les groupes What’s app des clubs, car nous avons eu connaissance de plusieurs cas de blagues sexistes via ce canal. Ces groupes sont de plus en plus répandus, et certains les confondent avec un groupe What’s app de potes. Quand vous lisez un message d’un de ces groupes, vous le lisez souvent chez vous, dans votre intimité. Voir arriver des blagues sexuelles ou des photos méprisantes sur son propre téléphone, à un moment où on n’est vraiment pas préparé pour ça, peut faire un choc (je l’ai vécu : « Je vais te planter un mat du berger ! » « Tant que tu ne me plantes pas autre chose ! » Je n’ai pas à lire ça un samedi matin en ouvrant un groupe qui est censé parler du club d’échecs. J’ai dû demander à ce que ce groupe du club soit indiqué comme « non officiel » — ce qui a bien fait rigoler le mec qui avait fait cette blague, je m’en suis sentie encore plus humiliée — et j’ai choisi de quitter ce groupe WA tellement je me sentais mal d’avoir des trucs comme ça qui arrivaient sur mon téléphone. J’aurais préféré pouvoir y rester, j’en ai été triste, mais trop de gens trouvaient ces blagues lourdes normales sur un groupe de joueurs d’échecs. Être isolée quand on vit mal les blagues lourdes, c’est aussi ça.)
Sur What’s app on ne voit pas le visage de ceux qui reçoivent les messages, on ne sait pas comment ils le vivent s’ils ne s’expriment pas. Il est encore plus facile de se convaincre que tout le monde trouve ça drôle. Il est nécessaire que les administrateurs et administratrices de ces groupes What’s app soient clairs : soit c’est le groupe officiel du club et on supprime tout ce qu’on ne pourrait pas dire à haute voix dans la salle de jeu, soit ce ne doit pas être un groupe officiel et les informations importantes pour le club doivent passer par un autre canal.

Mais parfois la hiérarchie a elle-même du mal à lutter contre ce genre de problèmes, voire encourage cet « humour. » Il est alors nécessaire d’intervenir directement soi-même, ce qui demande du courage. Personnellement, il m’a fallu du temps pour y arriver, et je ne suis toujours pas certaine de le faire efficacement. J’ai actuellement pour principe de dire les choses une fois, de manière courte. Par exemple on peut dire « je ne trouve pas ça drôle », ou « ce n’est pas très drôle ». Il m’arrive de répéter toujours la même phrase, quoi qu’on me réponde, ce qu’on nomme « la méthode du disque rayé. » Au bout des moment, certains vont entendre (ou du moins se taire). On ne va pas faire changer tout le monde, mais ceux qui peuvent comprendre comprendront. Et peut-être qu’ils réfléchiront la prochaine fois, parce qu’aujourd’hui quelqu’un a fait remarquer qu’il y avait un problème. Si on veut expliquer, je crois qu’il faut parler pour soi, dire ce qu’on ressent, soi-même, quand on entend cette blague : « ce que tu viens de dire me met très mal à l’aise. »

Dessin en noir et blanc montrant une femme en longue robe blanche qui marche sur des cadavres pour aller allumer un canon.
Francisco de Goya, Les Désastres de la guerre, n°07 : « Quel courage ! » Musée du Prado.

Il est nécessaire de comprendre une chose : quand quelqu’un intervient, c’est souvent qu’il ou elle n’en peut plus de ce genre d’humour. C’est souvent qu’elle ou il en a déjà trop entendu. On n’intervient pas parce qu’on est particulièrement sensible, mais parce qu’on a trop subi de blagues méprisantes, parce qu’on n’en peut plus d’une ambiance où on fait référence toujours au sexe pour des choses qui n’ont rien à voir, parce qu’on se sent vraiment trop mal d’entendre ça. Il y a eu trop de remarques de ce genre, ou celle qu’on vient d’entendre est trop énorme pour être supportée. Donc répondre « Oh, ça va, c’est rien ! » est complètement à côté de la plaque. La personne qui intervient a sans doute déjà été très tolérante avant d’intervenir. Peut-être même qu’elle a fait elle-même des blagues lourdes dans le passé, et rigolé à d’autres il y a 5 minutes. Mais si cette personne se décide à intervenir, même a minima, pour tempérer un peu cette ambiance, c’est qu’on a dépassé les limites de l’acceptable. Et si cette personne-là intervient, il est possible qu’il y en ait deux ou trois autres présentes qui pensent pareil mais ne disent rien, n’ayant pas envie de se faire rembarrer elles aussi. Donc merci d’entendre quand quelqu’un fait une remarque de ce type, et de respecter ce que dit cette personne, qui peut avoir peur de se faire rejeter par le groupe et qui a le courage de parler seule face aux autres. Merci aussi d’essayer de la soutenir, ou au moins de ne pas l’enfoncer avec des « on peut plus rien dire » (c’est faux, écoutez tout ce qui a été dit depuis le début de la conversation, en général on a déjà sorti pas mal de choses), des « c’est rien » (non, ce n’est pas rien sinon elle n’en parlerait pas), des « t’es chiant-e, on s’amuse ! » (cette personne-là ne s’amuse pas du tout).


Vous vous voyez comme quelqu’un de bien, quelqu’un de tolérant, respectueux de chacun, capable d’écoute ? Alors écoutez lorsqu’une personne vous dit qu’elle se sent mal dans une conversation censée être joyeuse, qu’elle ressent de l’intolérance dans « l’humour » qui lui est imposé, voyez-la lorsque son visage montre qu’elle n’en peut plus. Respectez son avis. Allez éventuellement voir votre pote spécialiste en blagues lourdingues pour en parler en privé ou faites-lui une petite remarque en public. Même si c’est le meilleur joueur du club, voire son président ou le capitaine de votre équipe, même s’il vous a appris plein de choses, même si vous adorez être avec lui, rien ne vous empêche de lui dire « on va arrêter un peu, c’est mieux si on fait des blagues sur autre chose », ou « c’est un peu fatiguant ce type de blagues, tu peux lever le pied ? T’as tellement de choses plus intéressantes à dire. » Vous n’y perdrez rien, cela ne vous enlèvera rien, vous aurez fait quelque chose pour vous et pour les autres et vous risquez juste d’être dans une ambiance un peu plus respirable pour toutes et tous. Merci de prendre le temps d’y réfléchir.


Je vous invite à écrire en commentaires de cet article des exemples d’interventions que vous avez pu faire ou voir sur ce thème, et comment elles ont pu avoir plus ou moins d’impact. Et vous pouvez aussi nous envoyer les phrases sexistes que vous avez entendues dans votre club, pour faire comprendre à quel point cela est courant. Il arrive si souvent qu’on nous dise que ce n’est pas grave, que ça n’a lieu qu’une fois de temps en temps, qu’il faut pouvoir montrer que non, au fil du temps il y a une accumulation à laquelle il faut porter attention.

Une dernière petite chose : nous sommes en début d’année et les adhésions à Échecs & Mixte se font pour l’année calendaire. Si vous souhaitez faire un don ou adhérer à notre association pour soutenir la mixité dans le cadre du jeu d’échecs, c’est donc le bon moment, et c’est possible en suivant ce lien.

  1. Rappelons que si vous êtes témoin ou victime d’une agression sexuelle dans le domaine des échecs, il est important de faire un signalement auprès de l’association Colosse aux pieds d’argile. ↩︎
  2. Le prénom et des détails de la compétition ont été changés pur des questions d’anonymat. ↩︎
  3. Je précise que, si je trouve dommage qu’aucun autre responsable n’ait réagi ce jour-là, je ne leur en veux pas. Ce n’est pas simple de se rendre compte, ce n’est pas simple de réagir, mais, je le répète, c’est dommage qu’ils ne l’aient pas fait. ↩︎
  4. Une personne cisgenre est une personne dont le genre auquel elle s’identifie est le même que celui qui lui a été assigné à sa naissance. ↩︎
  5. J’ai par exemple ressenti le même malaise en entendant cette phrase que j’ai citée sur le compte Facebook d’E&M. Je suis la joueuse qui a témoigné. Depuis lors, j’évite d’aller dîner avec les joueurs de mon club. ↩︎
  6. « Un groupe de travail a été mis en place pour examiner les 3 premières requêtes de changement de genre présentées consécutivement au vote par le comité directeur de juin d’une telle procédure. À l’issue de son analyse, ce groupe a rendu un rapport avec 3 avis favorables et plaidait pour des modifications en urgence pour la santé des demandeuses. […] Marion Penalver, médecin fédérale et membre du groupe d’étude des demandes, explique qu’elle a effectivement plaidé pour une décision en urgence au regard de la souffrance et de la détresse des personnes concernées, évoquant la nécessité qu’elles puissent jouer les tournois d’été en étant rattachées au genre souhaité. »
    Compte rendu du Comité Directeur de la FFE, samedi 19 et dimanche 20 novembre 2022, page 29. ↩︎

Crédits photos :
Dessin en haut de la page : The inside of a theatre and the reactions of different parts of the audience to the unseen play (détail). Gravure de W. Hogarth. Par https://wellcomeimages.org/indexplus/obf_images/a8/ab/19fe884a75bad928c37deca5afbd.jpgGallery: https://wellcomeimages.org/indexplus/image/V0049233.htmlWellcome Collection gallery (2018-04-03): https://wellcomecollection.org/works/ym4ez45y CC-BY-4.0, CC BY 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=36667860
Portrait de groupe : Different people, Richard foster, CC BY-SA 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0, via Wikimedia Commons
Monastère d’Agia Vavara : Dickelbers, CC BY-SA 3.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0, via Wikimedia Commons

Championnats départementaux mixtes : les joueuses n’ont pas à choisir avant d’être qualifiées !

Dessin d'Alice, couronnée, assise entre les reines blanche et rouge qui lui parlent

Très bientôt se joueront les championnats départementaux qui désigneront les jeunes qualifié-e-s pour les championnats de Ligue. Nous tenons à faire un rappel à ce propos : si un tournoi qualificatif mixte est organisé par un comité départemental, et que le championnat de Ligue sépare encore les joueurs et les joueuses, celles-ci n’ont pas à choisir avant le début de la compétition si elles veulent se qualifier en féminin ou en mixte.

Il est arrivé que cela soit obligatoire par le passé dans certains départements ou dans certaines ligues, mais ce temps est révolu. Des joueuses devaient parfois signer un engagement pour dire si elles décidaient, par avance, qu’à l’issue d’un championnat qui n’avait pas encore débuté, elles se qualifieraient en mixte ou en féminin. Ceci était défavorable aux filles. En effet, si une joueuse choisissait de s’engager à aller en mixte, elle ne pouvait alors être qualifiée en féminin si finalement elle finissait trop bas dans le classement mixte mais quand même à une place qui lui aurait permis d’aller en féminin. Inversement, si elle s’était engagée à aller en féminin au niveau supérieur alors qu’elle faisait un bon tournoi et découvrait ainsi qu’elle avait le niveau pour jouer en mixte, que ce n’était pas si dur, que le mixte, ce n’est pas « chez les garçons », elle ne pouvait revenir sur son choix. Résultat, pour s’assurer une qualification, ce système incitait les joueuses à s’engager à s’inscrire en féminin.

Une enfant st en train d'écrire mais elle regarde un oiseau jaune qui est à côté d'elle, sorti d'une cage ouverte.
Henriette Brown, Enfant écrivant

Or, nous disons depuis longtemps que les championnats féminins sont moins compétitifs et incitent les filles à avoir moins conscience de leurs capacités. On nous a dit « oui mais c’est trop facile si elles ont le choix à la fin ! » Non, ce n’est jamais facile de se qualifier. Une championne n’égale pas un champion, même quand ce champion est une fille… Quant aux autres arguments que nous avons entendus, par exemple celui qui dit que les filles « prennent des places aux garçons » en se qualifiant en mixte, faut-il y revenir ? Rappelons que les quotas de places aux championnats de France mixtes sont dorénavant calculés à partir du nombre total d’enfants des deux genres et non seulement à partir du nombre de garçons comme cela se faisait auparavant. Ainsi « les filles ne prennent pas leur place aux garçons », puisque si elles arrivent devant eux au classement général, c’est qu’elles ont gagné cette place. Enfin faut-il assurer de nouveau que non, les garçons ne vont pas être traumatisés par le fait de jouer et perdre contre une compétitrice ; tout simplement parce que s’ils sont eux-mêmes des compétiteurs et prétendent jouer les championnats départementaux, régionaux et nationaux (voire internationaux) ce n’est pas une défaite contre une joueuse qui devrait les arrêter ?

Ainsi, si votre fille joue un championnat départemental mixte, on ne peut pas lui demander, dès le début du championnat, de choisir par avance dans quelle catégorie de genre elle se qualifiera. Il s’agit d’une proposition de la Commission Mixité acceptée par le Comité Directeur, et inscrite en toutes lettres dans le règlement du championnat de France des Jeunes, page 2, article 2.4, alinéa ‘cas particulier’ :

Les CDJE et Ligues peuvent organiser un seul tournoi mixte d’une même catégorie d’âge. Dans ce cas, en cas de qualification en catégorie mixte et en catégorie féminine, les joueuses doivent faire le choix d’une qualification pour l’une des deux catégories immédiatement après la fin du tournoi.

Si néanmoins vous étiez témoins d’un championnat où on demande aux joueuses de faire ce choix avant le début du tournoi, nous vous invitons à contacter au plus vite la Commission Mixité de la Fédération Française des Échecs ainsi qu’à nous en faire part.

Nous souhaitons à tous les jeunes joueurs et joueuses d’excellents championnats départementaux.

Remerciements à Isabelle Billard pour m’avoir fourni le texte exact du règlement, à Sophie Lasne qui a parlé du problème et à la Commission Mixité pour son travail.

Perspectives de l’association et prochaine Assemblée Générale

La prochaine Assemblée Générale d’Échecs & Mixte aura lieu en septembre. Nous sommes à un tournant, nous réfléchissons à quelles inflexions donner à notre action, ceci incluant la possibilité de mettre l’association complètement en sommeil pour nous engager autrement.
Si vous voulez participer à cette réflexion, ou vous engager d’une manière ou d’une autre au sein d’Échecs & Mixte, vous pouvez adhérer (l’adhésion est à 10€, l’argent sert à maintenir le site internet).
Vous pouvez aussi nous écrire à l’adresse echecsetmixte@gmail.com

Nous rappelons bien sûr que, même si nous restons ouvert-e-s à la discussion, comme dans toute association, seul-e-s les adhérent-e-s à jour de cotisation peuvent participer aux décisions de l’association.

Retour sur les sensibilisations aux Violences Sexistes et Sexuelles de la FFE

En tant qu’arbitre, j’ai suivi la première des sessions de Sensibilisation aux Violences Sexistes et Sexuelles donnée par l’association Colosse aux pieds d’argile et organisée par la FFE. Il s’agit de sessions de deux heures. Chaque titulaire d’un diplôme de la FFE (en tant que formateur, formatrice ou arbitre) doit en suivre une.

La session que j’ai suivie était présentée par un intervenant de Colosse aux pieds d’argile ainsi que Jean-Baptiste Mullon, vice-président de la FFE. C’était en visio et je pense qu’il y avait une centaine de participants et participantes.

Déroulé de la sensibilisation
C’est vraiment une sensibilisation et non une formation : en deux heures, avec autant de monde, il n’y a pas moyen de vérifier ce que les participants et participantes en auront retenu. Il y avait néanmoins la possibilité de poser des questions à certains moments.

La sensibilisation commence par la diffusion d’une vidéo de présentation de Colosse aux pieds d’argile, avec notamment les faits subis par son président pendant son enfance. Suit une conférence avec diaporama avec des moments pour répondre aux questions.
C’est très complet pour les violences sexuelles sur les enfants, les détecter, écouter les enfants, les obligations légales pour prévenir les autorités, et même comment se prémunir de fausses accusations (ne pas mettre un enfant à l’avant quand on est seul-e en voiture avec lui, laisser la porte ouverte quand on donne un cours particulier…)


En revanche, sur le sexisme, il n’y a rien. C’est une sensibilisation sur les violences sexuelles dont sont victimes les enfants et adolescent-e-s, pas du tout au problème du sexisme ou à autre chose. L’intervenant a dit que ça concernait « toutes les violences » mais il n’y a rien concernant ce que peut vivre de lourd une joueuse dans un club. (Au passage, j’ai même remarqué que tout le diaporama était au masculin. L’intervenant a bien précisé qu’un agresseur pouvait être une femme aussi, mais le diaporama ne parle que « d’encadrant » au masculin). Je remarque même que l’intervenant utilisait l’expression « les violences » comme s’il parlait de toutes violences en général, alors que son exposé était quand même clairement sur les violences sexuelles sur des enfants, pas sur des violences physiques qui ne seraient pas sexuelles, ni sur du sexisme, ni sur des violences sexuelles sur adultes.

On a parlé de la vérification d’honorabilité. On doit, si on a un diplôme fédéral, demander soi-même à faire vérifier son honorabilité (cela ne vérifie pas que le casier judiciaire mais aussi les plaintes qu’il peut y avoir contre quelqu’un). Il n’y a encore eu personne dont l’honorabilité serait en défaut, selon Jean-Baptiste Mullon parce que quelqu’un qui sait qu’il y a des plaintes contre lui ne ferait cette demande. Les président-e-s de club peuvent et doivent aussi demander à vérifier l’honorabilité d’un-e encadrant-e, par exemple un parent qui s’occupe d’une équipe jeune.
Là, j’ai demandé ce qu’on pouvait faire quand un-e intervenant-e ou un-e encadrant-e n’avait pas de licence FFE. Il arrive parfois que des clubs aient des profs d’échecs, bénévoles ou non, qui n’ont pas de licence. Ça peut aussi être le cas d’un père ou d’une mère qui s’occupe d’une équipe jeune et va parfois les ramener en voiture (les voitures sont, selon l’intervenant de Colosse aux pieds d’argile, un lieu vraiment risqué car beaucoup d’agressions sur des jeunes s’y déroulent). J’ai eu la sensation, au vu des réponses, que personne à la FFE ne s’était posé la question. La même question a été posée à une des sessions suivantes, là il a été dit que les clubs avaient intérêt à licencier leurs bénévoles car sinon ils ne sont pas assurés pour leurs actions au club.

Une bonne sensibilisation à la question des violences sexuelles sur les enfants, rien sur le sexisme
Cette sensibilisation qui ne dure que deux heures est vraiment bien et complète sur le sujet des violences sexuelles sur les jeunes.
Par contre, ce n’est pas une sensibilisation aux violences sexistes. Ça ne va pas améliorer les rapports femmes / hommes aux échecs. Un des participants a parlé d’ailleurs de la phrase « tu joues bien pour une fille » pour savoir si c’était de la violence (il l’a sans doute lu sur le Facebook d’Échecs &Mixte, lors que nous avons publié les phrases sexistes entendues ordinairement). On lui a répondu que non, j’ai senti que pour l’intervenant, ce n’était pas du tout son sujet. 

J’ai peur que ces sensibilisations qui sont nécessaires permettent en même temps que certain-e-s puissent dire que les remarques sexistes, c’est rien. J’avais fait la même expérience avec le dossier paru dans L’Équipe il y a un an où des joueuses d’échecs dénonçaient le sexisme dans notre sport : un joueur que je connais, qui n’avait pas lu le dossier, me disait que celles qui y apparaissaient étaient des femmes courageuses qui se plaignaient de quelque chose de grave, alors que dans son club il y avait une fille qui pinaillait pour de petites remarques homophobes… En gros cette personne utilisait le dossier de L’équipe pour minimiser ce qui se passait dans son club.

Les questions qui se posent maintenant
Comment ces sensibilisations vont-elles continuer ? Il doit y en avoir de nouvelles en septembre (il n’y avait que quatre sessions pour ce printemps, la dernière étant le 8 juin, tout le monde n’a pas pu avoir de place) mais est-ce que ce sera pérennisé pour dans trois ans, huit ans, dix ans ? Est-ce qu’il y aura une mise à jour des informations ? Que se passera-t-il pour les prochains arbitres et formateurs / formatrices qui auront leur diplôme après cette vague de sensibilisations ? Et est-ce que ça peut être intégré à la formation initiale ? Enfin il faut vraiment savoir si la FFE peut proposer quelque chose pour vérifier l’honorabilité des encadrants et encadrantes qui n’ont pas de licence. Parce que plein de clubs ne peuvent pas s’en passer et c’est un problème potentiel.

#MeTooChess : rendre visible le harcèlement sexiste et sexuel dans les échecs

Comme beaucoup nous avons été très touché-e-s de la lettre collective écrite par des joueuses et signée par plus d’une centaine d’entre elles dénonçant le harcèlement sexiste et sexuel et les agressions qu’elles ont pu vivre dans des clubs, des tournois et lors de l’entrainement : « Pour que la peur change de camp »

Cette lettre courageuse et nécessaire parue dans le journal Le Monde a le mérite de montrer, notamment à ceux qui ne connaissent pas ce milieu, que le sexisme y existe et y est courant, notamment dans ses aspects les plus sombres.

Une jeune femme assise sur un banc de pierre, nue avec seulement un drap posé sur une cuisse, tente de repousser deux hommes, penchés de l'autre côté du banc qui semble lui parler. Elle a l'air triste, harassée, épuisée.
Suzanne et les Vieillards, par Artemisia Gentileschi (1610)

Nous voudrions ici pouvoir montrer cela aussi à celles et ceux qui évoluent dans le monde des échecs et qui souvent ne voient pas le sexisme, celles et ceux qui ne se sentent pas concerné-e-s, qui ne réagissent pas si ça se passe devant eux car ces personnes ne se rendent pas forcément compte du problème. Nous sommes pourtant nombreuses à avoir entendu des remarques choquantes et à voir que ça ne dérangeait pas, ou pas tant que ça les joueurs tout autour. Nous voulons leur montrer que ces comportements existent, pour qu’ils puissent réagir. Ce n’est pas grand chose de dire à quelqu’un « là, tu peux pas parler comme ça » et pourtant ça change tout. Cela a un impact non seulement sur celui qui a fait une remarque sexiste (car il découvre que non, tout le monde ne pense pas comme lui, et que oui, là il a dépassé les bornes), mais cela impacte aussi celle qui se prend cette remarque : ça lui montre qu’elle n’est pas seule dans ce tournoi, dans ce club, ou face à cet entraineur. Ça lui rappelle qu’il est normal qu’elle soit choquée, et qu’elle a le droit de ne pas admettre qu’on lui parle comme ça.

Nous aimerions collecter ces remarques pour que nos ami-e-s, nos coéquipiers, nos entraineurs, tous ceux qui évoluent dans le monde des échecs puissent comprendre que oui, c’est réel, oui, ça arrive souvent, oui, on n’en peut plus.

Vous avez été témoin ou victimes de remarques ou de propos sexistes dans un club d’échecs ? Vous avez jugé que ça ne valait pas la peine de faire une plainte à la commission de discipline, ou vous l’avez fait mais vous souhaitez en parler maintenant ? Vous voulez qu’on sache que ça existe, qu’on voie le problème ? Envoyez-nous un mail à l’adresse echecsetmixte@gmail.com pour nous le raconter. Pensez à nous donner votre vrai nom (pour qu’on soit sûr que vous existez bien, qu’on n’est pas face à un fake) et précisez si vous souhaitez rester anonyme ou si vous souhaitez que votre témoignage soit publié avec votre nom, vos initiales, ou autre. C’est intéressant d’indiquer des détails, comme par exemple votre âge au moment des faits, la situation (en cours, au club, en tournoi…) Vous pouvez aussi mettre vos anecdotes directement sur Twitter (X) avec le hashtag #MeTooChess.

Nous publierons vos témoignages ici et sur les réseaux sociaux de l’association (Twitter / X et Facebook). Vous pouvez bien sûr aussi nous envoyer vos témoignages par message privé sur nos réseaux.

En attendant vos témoignages, voici quelques exemples de remarques entendues (ce sont des exemples venus de plusieurs personnes, de différents clubs et de plusieurs ligues) :

« T’es gentil avec la demoiselle ! »

par un ami de mon adversaire juste avant une partie de tournoi important.
J’ai battu l’adversaire en question.

« Le problème avec cette joueuse, c’est qu’elle s’épile pas les aisselles »

par un joueur de mon club. Il parlait d’une joueuse de haut niveau. En entendant ça, j’ai compris qu’on peut jouer aussi bien que possible, on sera toujours réduite à son corps, à un morceau de viande qui doit être désirable pour les hommes.

« Il y a plusieurs femmes dans votre équipe ? J’apprécie beaucoup les femmes ».

Par un joueur qui se voulait sans doute galant d’une équipe adverse lors d’un match de nationale.

« Faites attention sinon vous allez vous le prendre dans les dents ! »

J’étais arbitre-joueuse d’un match de Nationale dans mon club. Le capitaine de l’équipe adverse et mon adversaire se disaient des blagues dans la salle, ce qui me dérangeait. Je leur ai demandé de se taire. Le capitaine de l’équipe adverse m’a affirmé qu’il avait le droit de parler à son joueur. J’ai répondu qu’il n’avait pas le droit de lui parler pour des blagues. Le joueur, une armoire à glace, m’a rétorqué cette phrase. J’ai demandé s’il parlait au propre ou au figuré. Il m’a répondu que c’était au figuré, mais j’étais terrorisée. Après ma partie, comme j’étais arbitre et que je devais rester jusqu’à la fin du match, je suis allée me cacher dans les toilettes pour pleurer. C’était il y a une dizaine d’année, j’ai pu envoyer un avertissement, en tant qu’arbitre, à ces deux joueurs.

« Il y a des années, avec des potes, on se disait que pour gagner des coupes il faudrait se couper les couilles, et ben maintenant à la FFE il y en a qui le font ! »

Par un joueur du club. Là j’ai compris que pour ce joueur, qui enseigne par ailleurs les échecs, une femme était juste un homme avec des « couilles » coupées.

« _ Je vais te planter un mat du Berger !

_ Tant que tu me plantes pas autre chose ! »

Cet échange élégant se trouvait sur le groupe What’s app (non officiel) de mon club. La plupart de ceux qui l’ont lu trouvé ça très drôle, mais pas moi (j’y étais la seule fille). J’ai fait savoir que ce n’étais pas le lieu pour ça. On m’a répondu que c’était à la majorité de décider, et que la majorité était pour ce genre d’humour (comme je l’ai dit, j’étais la seule fille. Donc jamais dans la « majorité »). J’ai quitté ce groupe.

« Oh, c’est magnifique, quand tu te penches en avant c’est vraiment magnifique ! »

J’aidais à préparer un tournoi en posant des feuilles de partie sur les échiquiers. Je ne m’étais pas rendu compte que mon haut baillait et qu’on voyait mon décolleté. Celui qui a dit ça à la cantonade était l’arbitre principal. Je suis allée le voir, on s’est expliqué discrètement, il a compris le problème et n’a pas recommencé.

Sept ans et des raisons de se réjouir !

Aujourd’hui 17 février 2022, cela fait sept ans que l’Association Échecs & Mixte a été créée. À sept ans, on sait lire et écrire, on entre dans l’âge de raison, on commence à être « un-e grand-e ». À Échecs & Mixte, nous avions noté il y a quelques mois que nous sommes arrivé-e-s, avec la nouvelle équipe à la tête de la FFE, à une étape où nous espérons travailler moins dans l’opposition, et plus de manière constructive. Notre travail sera peut-être moins visible sur le site, mais nous continuerons à réfléchir sur la question de la mixité dans notre sport et à dialoguer avec les différentes instances de la FFE pour la faire avancer.

Dans cette période, nous avons une raison de nous réjouir : l’équipe d’arbitrage aux prochains championnats de France Jeunes à Agen sera mixte ! En comptant l’arbitre en chef, on trouve en effet neuf femmes et neuf hommes qui arbitreront ce championnat. Cela permettra en premier lieu de montrer aux jeunes joueurs et joueuses que le monde des adultes n’est pas seulement organisé par les hommes, que les femmes aussi peuvent connaître les règles et représenter l’autorité, mais aussi aux femmes arbitres d’enrichir leur expérience et peut-être d’affermir leur motivation à faire de l’arbitrage.


Certain-es noteront qu’en dehors de Loriane Lebret, arbitre en chef adjointe, les femmes de cette équipe sont en général moins titrées ou expérimentées que leurs homologues masculins. Cela n’est pas étonnant si on se souvient qu’il y a seulement à peu près 10% de femmes parmi les arbitres, quand il y a 20% de joueuses parmi les licencié-e-s à la FFE. Il y a peu de femmes arbitres, et il y en a encore moins aussi parmi les arbitres les plus titré-e-s.

Néanmoins, face à cette inquiétude, on peut se rassurer en rappelant qu’un-e arbitre expérimenté-e n’est pas forcément très titré-e (Émily Minaud est AFO1, donc le grade juste au-dessus d’arbitre club. Mais elle est arbitre depuis au moins 10 ans et a déjà arbitré des championnats de France jeunes lors de plusieurs éditions). Pour celles et ceux qui craignent qu’on choisisse des arbitres trop inexpérimentées sous prétexte de favoriser la mixité, la Direction Nationale de l’Arbitrage a eu l’intelligence d’expliquer la manière dont l’équipe a été constituée, précisant avoir souhaité « s’appuyer sur une épine dorsale solide composée de 7 Arbitres Internationaux et Arbitres FIDE pour encadrer les collègues ayant moins d’expérience lors de tels événements ». L’équipe n’a pas été constituée au hasard, des principes ont été suivis, et nous remercions la DNA d’avoir trouvé le moyen de présenter une équipe à la fois mixte et solide.

Nous espérons avoir d’autres raisons de nous réjouir dans les mois et les années à venir, même si nous savons qu’il nous faut rester vigilant-e-s à Échecs & Mixte pour que la mixité aux échecs continue à avancer et qu’elle profite à chacun-e. Si vous souhaitez nous soutenir, vous pouvez adhérer ou ré-adhérer pour l’année 2022, ainsi que nous écrire pour discuter de sujets qui vous tiennent à cœur concernant la mixité.

Et maintenant,qu’est-ce qu’on fait ?

Gravure d'une boussole en noire et blanc, avec pour légende "Fig.21 - Boussole."

Au printemps dernier, les élections ont amené à la tête de la FFE une nouvelle équipe, celle de la liste menée par Éloi Relange, dont le programme est celui qui nous avait paru le plus sérieux et le plus développé concernant le secteur féminin. Nous félicitons bien sûr cette liste. Ce changement en a entrainé d’autres : plusieurs branches de la FFE ont renouvelé leur direction, la Direction Nationale des Échecs au Féminin (DNEF) a disparu, nous nous réjouissons de la création d’une « Commission Mixité », et enfin la commission Jeunes n’existe plus car les questions qui concernent les jeunes seront maintenant traitées « transversalement ». 

On ne s’en cachera pas, ces changements nous paraissent positifs, tant nous avons pu avoir le sentiment de ne pas avancer avec les personnes qui se trouvaient à la tête de la FFE ou de la DNEF par le passé : l’impression frustrante de faire du surplace, d’être ignoré, de devoir se placer en opposition alors qu’on voulait avant tout travailler de manière constructive. Rappelons par exemple l’affaire du plan de féminisation de la FFE : nous avons compris durant la campagne que ce plan était indispensable pour obtenir l’agrément sportif pour notre fédération… mais que sa réalisation l’était beaucoup moins… Ce pourquoi, alors qu’il avait été annoncé tambour battant, il n’a que très incomplètement été réalisé par l’équipe Kouatly.

Un sextant
Crédit photo : Rama, CC BY-SA 3.0 FR https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/deed.en, via Wikimedia Commons

Une phase plus constructive ?

Nous espérons donc travailler de manière plus constructive avec la nouvelle équipe qui se trouve à la tête de la FFE. Certain-e-s membres d’É&M ont intégré des commissions fédérales. Il est assez normal qu’après des années à faire des propositions pas toujours entendues par notre fédération, il est temps pour elleux d’essayer concrètement et directement d’améliorer les choses.

Mais nous continueront, à Échecs & Mixte ! à nous exprimer sur ce site et à communiquer avec ceux qui dirigent la Fédération Française des Échecs pour faire des propositions, évaluer son action et, s’il le faut, dénoncer ce qui ne va pas[1]. Nous espérons néanmoins que nous entrons dans une phase plus constructive de notre action.

D’autres manières de militer

À Échecs & Mixte, nous devons aussi réfléchir à d’autres manières de militer. Nous allons par exemple essayer de mieux communiquer avec les Ligues pour voir les diverses manières d’arriver là à la mixité, notamment dans les championnats de Ligue Jeunes où les filles et les garçons joueront ensemble. Durant la campagne, Éloi Relange et son équipe avaient assuré qu’ils étaient pour la mixité aux championnats jeune, mais qu’il fallait d’abord, pour l’appliquer aux Championnats nationaux, que les Ligues décident elles-mêmes de l’appliquer dans les championnats régionaux. Sauf que ça simplifierait bien les choses que les championnats nationaux commencent par appliquer la mixité. Par exemple, actuellement, dans les ligues qui appliquent la mixité, on a des « doubles qualifiées », c’est à dire des compétitrices qui sont qualifiées à la fois en féminin et en mixte au terme du championnat régional. Il faut qu’elles fassent un choix, et ce choix peut être fait dans la semaine qui suit le championnat dans certaines ligues (ce qui arrive par exemple en IDF, où donc les filles et garçons moins bien classé-e-s attendent pour savoir si c’est une place en mixte ou en féminin qui va être libérée) ou, dans d’autres ligues, avant même de jouer, quand les joueuses ne sont pas encore conscientes de leur niveau. Cela crée des différences entre les Ligues pour la qualification des joueuses en mixte. 

C’est bien compliqué, non ? Alors que si les championnats de France Nationaux Jeunes étaient mixtes, chaque Ligue n’aurait qu’à envoyer un nombre déterminé de filles et de garçons, et il n’y aurait plus parmi les joueuses de « qualifiées mixte » et de « qualifiées féminines », juste des « qualifiées ». Filles et garçons joueraient ensemble avec à la fin un double classement, ce qui permettrait à certaines joueuses qui ont besoin de se sentir entourées de continuer à se retrouver « entre copines » aux championnats de France, et plus personne ne ferait pression sur les joueuses pour qu’elles aillent « chez les filles » parce qu’il y est plus facile de gagner des coupes, mais où leur résultats risquent de s’étioler dans un championnat moins sportif. 

Au XII siècle, on se représentait le monde comme sur cette carte établie par le géographe Al Idrissi. À Échecs & Mixte ! on espère qu’un jour la séparation entre filles et garçons dans les championnats jeunes ne sera plus, tout comme cette carte, qu’un témoignage du passé.

Voilà les perspectives vers lesquelles nous allons, perspectives dont nous pourrons discuter avec nos membres lors de notre prochaine Assemblée Générale. Nous serons par ailleurs toujours heureu-x-ses d’apporter notre expertise à tous ceux qui s’intéressent  aux femmes dans le domaine des échecs et de recueillir les témoignages de celles qui veulent nous faire partager leur expérience dans ce domaine.


[1] Nous pouvons en profiter, au passage, pour remarquer que l’équipe d’arbitrage pour le championnats de France Jeunes en octobre à Agen ne compte toujours que 30% de femmes arbitres. Même si la situation est assez compliquée pour cette édition, on peut peut-être se dire qu’il faut qu’à l’avenir la FFE et la DNA trouvent enfin des solutions pour arriver à des équipes mixtes.

Elections 2021 : formatrices, compétitions féminines, haut-niveau.

Suite et fin de notre dossier sur les propositions des candidats au Comité Directeur avec les propositions des différentes listes sur les possibilités de devenir formatrice aux échecs, les compétitions féminines, et le haut-niveau.

Formatrices : Unité, considérant que « les clubs avec des entraîneurs femmes ont tendance à avoir un nombre plus important de féminines », propose de faciliter la formation en passant par la validation des acquis par l’expérience. On nous donne l’exemple d’une joueuse de haut-niveau qui après sa carrière aurait certainement des aptitudes et une expérience pour devenir entraineure. Nous nous sommes étonné-e-s de cette proposition dans le cadre d’une féminisation de la FFE : d’abord parce qu’on ne sait pas quelle étude indique que les formatrices et entraineures permettent d’avoir plus de joueuses dans un club (mais on se le demandait déjà en 2019 et on n’a toujours pas la réponse). En outre, pourquoi faudrait-il des moyens d’accès à la formation différents pour les femmes ?
Sophie Milliet nous a répondu que la complexité des diplômes de formation est un frein à ce que les femmes passent ces diplômes, sans nous expliquer en quoi ça l’était plus pour elles que pour les hommes (peut-être parce que des mères de familles ont moins le temps de s’engager dans un stage de formation ? Mais alors ne faudrait-il pas trouver d’autres façons d’organiser les stages ?) De toute façon, les hommes aussi pourront bénéficier de ce parcours… Nous devons nous avouer assez dubitatives devant ces arguments. Nous craignons un diplôme au rabais pour les femmes, et surtout nous voyons mal en quoi cette mesure serait particulièrement incitatrice à une féminisation des clubs.

Chez Ouverture, on va plutôt vers une baisse des coûts des stages pour devenir formatrice, avec une politique tarifaire incitative ou un système « une place achetée une place offerte » pour les licenciées. Là encore on estime que « la mixité des enseignant·e·s produit des bénéfices considérables pour le développement de l’enfant et améliore la volonté de perfectionner son jeu pour de nombreuses femmes. » En outre Ouverture prévoit de créer un groupe de 100 professeures accompagné par la FFE pour leur parcours de formatrices. On n’a toujours pas de preuves que les formatrices permettent d’avoir plus de femmes en club, mais au moins on se dit qu’avec une meilleure politique tarifaire et un suivi, on peut avoir plus de femmes qui enseignent les échecs, et donc montrer dès l’initiation que les échecs sont un monde mixte.

Enfin, du côté d’Un temps d’avance, on compte « féminiser les équipes de formation »… Comment, à quel niveau ? On l’ignore.

Compétitions féminines : Unité propose de créer des interclubs féminins aux niveaux départemental et régional afin de « renforcer l’esprit d’équipe », tandis qu’Ouverture souhaite « favoriser une pratique « loisir » féminine par le renforcement de dispositifs de tournois féminins ». Ces deux mesures ne nous convainquent pas tout à fait. Tout d’abord parce qu’on a du mal, à Échecs et Mixte, à imaginer que la féminisation passe par le fait de garder les femmes dans une réserve naturelle avec d’autres animaux de leur espèce. On se demande par exemple l’intérêt qu’a la DNEF à promouvoir autant les tournois féminins sur internet où les joueuses n’ont même pas l’occasion de discuter vraiment ensemble (en dehors des chats, où l’échange d’expériences reste très limité).
Nous croyons vraiment en la mixité : la féminisation de la FFE passe par le fait que tous et toutes puissent se côtoyer en équipe et en tournois. Nous savons néanmoins que beaucoup de joueuses sont sensibles à l’aspect convivial des tournois et compétitions féminines. Des propositions comme celles de ces listes laissent donc l’association dubitative, surtout que pour organiser des compétitions et des tournois, il faut des week-ends qui ne soient pas déjà pris par d’autres événements, et il n’en reste pas tant que ça dans une année. Nous préférerions une politique ambitieuse axée sur l’idée de faire participer les femmes aux compétitions existantes – qui seront d’autant plus conviviales en devenant réellement mixtes.

Compétitions par équipes mixtes : seule la liste Ouverture nous a répondu sur notre proposition alternative à la règle dite de « la féminine obligatoire » qui consiste à avoir une proportion de joueuses qui jouent à leur niveau sur toute une saison. Ouverture nous répond que cette solution semble « envisageable à la condition qu’elle ne représente aucune complication pour les dirigeant⋅e⋅s ». Il y a une inquiétude liée au fait de savoir si des clubs ne vont pas faire jouer des joueuses « trop jeunes ou trop faibles » s’ils n’ont par exemple pas d’équipes dans une petite division. Mais nous répondons que ces joueuses ne joueraient au-dessus de sur niveau qu’une saison, les équipes pouvant passer dans la division inférieure l’année suivante. Nous espérons avoir montré, lors de nos échanges avec Éloi Relange, que cette proposition alternative est réellement envisageable.

Le haut-niveau : la liste Un temps d’avance compte « atteindre l’égalité de traitement femme / homme dans l’attribution des prix et cachets ». Comme souvent avec cette liste, la proposition n’est ni détaillée ni expliquée (sentirait-on une certaine exaspération de notre part avec les propositions souvent floues de cette liste ?) On imagine donc qu’il s’agit des prix dans les championnats de France et les tournois organisés par la FFE. Une question se pose alors : Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Cette proposition ne semble pas si difficile à mettre en œuvre, pourquoi l’équipe en place, qui se retrouve majoritairement sur la liste Un temps d’avance, n’a-t-elle pas commencé à la mettre en place avant ?
Chez Unité, à notre proposition de mieux doter les tournois fermés à possibilité de normes qui intègrent des joueuses, la réponse est « oui, oui, ne vous inquiétez pas » en s’appuyant sur l’expérience de Joël Gautier, tête de liste, dans l’organisation de tournois. Or nous ne demandons pas une action ponctuelle, mais s’inscrivant dans la durée. La réponse d’Ouverture nous rassure plus : « actuellement, la fédération verse déjà une aide financière aux tournois à normes. Nous sommes favorables à la mise en place d’un système de bonification de cette aide afin d’encourager la participation de joueuses. » Cette liste réfléchit aussi, comme nous l’avions proposé, à trouver une solution pour que les meilleures joueuses puissent participer au tournoi Accession au Championnat de France, tout en cherchant à « garder un National féminin attractif. »

En conclusion, globalement, sur ces sujets, on sent les propositions un peu disparates. Si celles de Un temps d’avance sont, comme souvent, insuffisamment développées pour emporter notre soutien, celles des deux autres listes montrent qu’il faudra encore réfléchir pour améliorer les interclubs ou sécuriser les parcours des meilleures joueuses. Nous espérons dans tous les cas que la liste qui sera majoritaire aux élections sera prête à continuer cette réflexion et à trouver des solutions concrètes aux questions abordées dans ce dossier. Nous devons souligner que si Unité nous semble avoir entamé sa réflexion mais que ses propositions paraissent encore un peu improvisées (peut-être parce que c’est la liste qui s’est déclarée le plus tard), Ouverture montre un vrai travail sur ces sujets, avec une vision d’ensemble concernant les femmes aux échecs. Nous serons dans tous les cas prêt-e-s à travailler avec tou-te-s celleux qui seront élu-e-s, en espérant que nous pourrons dialoguer avec les prochains responsables de la FFE et être entendu-e-s.

Pour revenir au sommaire de notre dossier sur les élections de 2021 au Comité Directeur de la FFE, il suffit de cliquer ici.

Dossier : Élections au comité directeur de la FFE, ce qu’on nous propose pour le secteur féminin

Nous avons lu les programmes des trois listes aux prochaines élections de la FFE, nous leur avons écrit, nous avons lu leurs réponses et nous avons aussi dialogué directement avec les candidats lorsque c’était possible.

Nous mettons sur cette page les liens utiles pour ces élections qui auront lieu le 3 avril, ainsi que les liens vers nos textes sur les programmes des trois listes.

Voici donc nos analyses des propositions des candidats :


Cette page sera mise à jour régulièrement pour y ajouter les nouvelles analyses que nous publierons, et éventuellement des liens utiles.



Les trois listes en présence sont, dans l’ordre alphabétique :

  • La liste Ouverture, menée par Éloi Relange. Son programme pour le secteur féminin est en lien sur cette page et sa réponse à notre lettre aux candidats sur celle-ci.
  • La liste Unité, menée par Joël Gautier. Son programme pour le secteur féminin est indiqué dans la page Promotion fédérale de son site. L’échange que nous avons eu avec Sophie Milliet, en deuxième position sur cette liste, est sur cette page du nôtre.
  • Le programme de la liste Un temps d’avance, menée par le président sortant de la FFE, Bachar Kouatly, est lisible ici. Nous n’avons pas reçu de réponse suffisamment détaillée à notre lettre pour qu’elle mérite d’être publiée.

Un dossier préparé par Sonia Bogdanovsky avec l’aide d’Isabelle Billard, Sophie Lasne et Aude Soubrier.

Elections 2021 : la mixité aux championnats jeunes


La mixité aux championnats jeunes est une de nos demandes principales et la plus ancienne. Nous sommes persuadé-e-s, depuis longtemps, que pour que les jeunes joueuses s’améliorent, mais aussi pour que tous les joueurs considèrent la mixité comme une évidence, il faut que filles et garçons jouent ensemble aux championnats départementaux, régionaux et nationaux. Cela en établissant deux classements, un féminin et un mixte, pour éviter la disparition des joueuses à partir d’un certain niveau de qualification. Disparition qui serait la conséquence du faible nombre de joueuses : il y a actuellement moins de très bonnes jeunes joueuses que de très bons jeunes joueurs.

Concernant les championnats qualificatifs départementaux et régionaux, les listes Unité et Ouverture se prononcent pour, à condition que les organes déconcentrés (c’est à dire les comités départementaux et les ligues qui organisent ces championnats) souhaitent le faire. À noter que la liste Unité nous dit qu’elle trouve cela justifié car à ces niveaux filles et garçons ont des Elo qui ne sont pas si inégaux, tandis qu’Ouverture considère « avoir le devoir de les convaincre que la mixité des qualifications départementales et régionales représente une réelle opportunité pour nos joueuses ». Ce qui est important : si on n’incite pas les organes déconcentrés à le faire, en leur montrant que rien ne va s’écrouler en faisant le choix de la mixité, ils ne le feront pas. Rappelons que plusieurs ligues font déjà jouer filles et garçons ensemble, dont l’Île de France, l’une des ligues les plus importantes en nombre de licencié.e.s. La liste Ouverture propose de débuter par les petites catégories (U8 et U10), puis de passer progressivement aux autres. Les joueuses pourront concourir simultanément pour une qualification en mixte et en féminin, ce qui est très important car actuellement certaines Ligues leur demandent de choisir avant la première ronde le tournoi auquel elles veulent se qualifier. Or c’est pendant les qualifications  que les joueuses peuvent se rendre compte que jouer « contre les garçons » est à leur portée.

Pour les championnats nationaux, nous constatons une vraie différence de point de vue entre Unité et Ouverture. Sophie Milliet, numéro 2 d’Unité, considère qu’il est plus motivant pour les filles de jouer en catégorie féminine, pour se fixer des objectifs « atteignables » et de laisser celles qui le veulent jouer en mixte.
Le problème que pointait du doigt sur notre site Mathilde Choisy en 2015  c’est que laisser les filles jouer entre elles leur offre des tournois moins sportifs et ne les incite pas à progresser autant qu’elles le pourraient, sans même qu’elles s’en aperçoivent : 

« Quand on est enfant, on rêve d’avion, de voyage, d’équipe de France et puis « Europe » et « Monde », ça sonne tellement bien ! Avec le recul, mes ambitions étaient bien ridicules. Mais quand on est gamine, la simple idée d’être privée de cette récompense parce qu’on s’engage dans un championnat plus fort est rédhibitoire. On ne s’imagine pas une seconde que le fossé va se creuser jusqu’à devenir un gouffre et on se réveille à 20 ou 25 ans en se disant juste « Merde ». »


Pour pallier ce problème, Unité propose néanmoins la possibilité de pouvoir être sélectionnée en équipe de France, pour les jeunes joueuses du national mixte jeune, sur dossier. Ce qui peut être une solution, mais qui existe en partie déjà (le Pôle Espoir de la FFE peut sélectionner aux championnats d’Europe et du monde des joueurs et joueuses qui n’ont pas terminé premier.ère.s de leur championnat, mais sans les financer autant que les champions de France). Ce qui  manque dans cette proposition d’Unité, c’est la part d’incitation, indispensable à nos yeux. Les jeunes joueuses auront-elles envie de faire ce parcours ? Qui le leur conseillera ? Les clubs se sentent valorisés par des titres de championnes (et peuvent recevoir pour cela de meilleures subventions), tout comme certains parents. Les filles risquent donc d’être poussées par leur entourage à jouer en catégorie féminine, pour avoir l’assurance d’un titre. Et on se retrouvera face au même problème : des filles qui croient que le mixte, c’est « chez les garçons », que « c’est plus dur » et qu’elles n’ont rien à y faire. Et des garçons qui considèrent que les filles sont nécessairement plus faibles, puisqu’on leur réserve des tournois où elles sont entre elles. Plusieurs jeunes joueuses ont rapporté que les filles jouant en catégorie mixte étaient moquées par les garçons et « attendues au tournant » en cas de mauvaise performance.

Unité estime aussi que « la suppression de toutes les compétitions féminines n’ayant en aucun cas démontré auprès de nos voisins son efficacité pour accroître le nombre de joueuses, il convient d’avoir une approche pragmatique et apporter avec les organes déconcentrés des engagements concrets. » C’est aussi ce que nous a fait remarquer la liste Ouverture : la peur que des championnats uniquement mixtes fasse baisser le nombre de joueuses comme cela a pu arriver à l’étranger. En d’autres termes, on nous dit qu’en faisant jouer les filles dans des championnats plus sportifs, elles décident d’arrêter de jouer. Ce qui est peut-être vrai. Mais alors, pour contrer ce problème, il faut trouver des moyens de faire que les filles se sentent à l’aise dans un championnat mixte. Rappelons-le, ce n’est pas aux filles de s’excuser d’être mal accueillies par certains garçons ! Il faut qu’elles puissent trouver en mixte la convivialité qu’elles ressentent dans un championnat féminin. Il y a certainement des solutions à trouver de ce côté-là.

Le programme d’Ouverture indique qu’il faut d’abord que les championnats de Ligue soient mixtes pour que les Championnats Nationaux le deviennent, et qu’une évaluation de la situation sera faite à mi-mandat. Ici, on a la sensation d’un serpent qui se mord la queue : les championnats nationaux deviendront mixtes quand les régionaux seront mixtes… alors que des championnats de France qui restent séparés entre le mixte et le féminin n’inciteront pas les ligues à faire jouer tout le monde ensemble. Dans une discussion de vive voix avec Eloi Relange, suivie d’échanges par mails, nous espérons l’avoir convaincu qu’il est possible de passer directement à la mixité totale aux championnats de France Jeunes. Nous l’avons senti réceptif à nos arguments, notamment sur les questions pratiques. Nous espérons donc pouvoir arriver à la mixité aux championnats nationaux dans de bonnes conditions pour tous et toutes dans un avenir proche si cette liste est élue. 

Nous n’indiquons pas de réponse de la part de la liste Un temps d’avance, car nous n’avons pas reçu de réponse sur cette question. Cette absence de réponse et le fait que Bachar Kouatly, à la tête de la FFE depuis 2016, n’ait jamais cherché à rendre mixtes les championnats de France jeunes nous semblent néanmoins une bonne indication de ce que cette liste compte ne pas faire sur ce point.

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