Joueuse de club par Sonia Bogdanovsky

Je suis ce qu’on appelle une « joueuse de club ». J’ai 38 ans, je joue depuis que j’en ai 27. Mon élo oscille entre 1500 et 1600. J’ai toujours habité en région parisienne, j’ai connu deux clubs différents, je n’ai bien sûr jamais été rémunérée pour jouer. Je fais aussi de l’arbitrage, je suis devenue AF3 il y a un an (ce qui permet par exemple d’être arbitre principale d’un tournoi sans normes) mais je n’ai pas beaucoup exercé, j’essaye d’arbitrer plus cette année.

L’échiquier féminin
Quand je me suis inscrite en club, je voulais progresser aux échecs, prendre des cours, mais je n’avais pas pensé faire de la compétition. Comme dans mon club la licence était gratuite pour les femmes, je me suis retrouvée avec une licence A et, un jour, on m’a demandé de venir remplacer quelqu’un dans une équipe mixte, je crois que c’était de la N5. Ça m’a vraiment plu, j’ai été surprise. A l’époque, je finissais mes études et je ne pense pas que je me serais payé une licence A directement, c’était trop cher pour moi. La licence offerte venait de ce qu’ils pouvaient avoir besoin de joueuses en N3, donc d’une certaine façon, c’est vrai que c’est l’obligation d’avoir des féminines en nationale qui m’a amenée à la compétition. Après, j’aurais pu aussi m’y intéresser par un autre biais, peut-être au bout de quelques années.

J’ai pas mal joué en N2 et en N3 dans le cadre de « l’échiquier féminin », qui est en fait l’obligation d’avoir au moins une joueuse et un joueur de nationalité française par équipe (sauf que l’homme, il est facile à trouver.) Actuellement, il y a une joueuse à plus de 1800 dans la N2 de mon club, mais elle est souvent indisponible pour raisons professionnelles, alors j’assure ses remplacements. J’ai tenté, une année, d’être à la fois présente en N4 où je me sentais à l’aise, à mon niveau, et d’aller faire des remplacements en N2 quand la première féminine n’était pas disponible. Sauf qu’avec la règle des trois matchs (une fois que vous avez joué trois matchs durant la saison à un niveau, vous ne pouvez plus redescendre dans les divisions inférieures) il y a un moment où ce n’est plus possible et où il faut dire adieu à l’une des deux équipes.

Je crois que beaucoup de gens ne savent pas à quoi ça ressemble d’aller « tenir l’échiquier féminin » en National. La joueuse est dans presque toujours au huitième échiquier, où elle affronte le plus souvent la joueuse de l’équipe adverse. Niveau elo, ça n’a rien à voir avec le niveau des coéquipiers masculins. Quand l’obligation existait en N3, il y avait vraiment trois tiers : le premier composé de joueuses à 2000 ou plus, face auxquelles, si je faisais parfois une perf, je me prenais le plus souvent une tôle avant même d’avoir compris. Bien sûr c’est profitable de jouer face à plus fort, mais trop systématiquement ce n’est pas simple à vivre… A l’opposé, on trouvait des débutantes qui m’ont souvent valu des victoires ennuyeuses et trop faciles. Ce sont parfois de vraies joueuses, mais souvent aussi la copine ou la fille d’un joueur, la mère de gamins qui suivent des cours… On trouve même de temps en temps une fille payée 50 euros pour sa partie, qui va jouer en l’ouverture en symétrique avant de proposer nulle et d’abandonner. Son club l’aura simplement recrutée sur internet afin d’avoir une féminine sur place lors d’un déplacement. (Oui, ça existe.). Et puis il y a le dernier tiers, des adversaires à mon niveau (disons entre 1400 et 1800), contre qui je joue avec autant de chances de gagner que de perdre dès le premier coup et un vrai affrontement. Ce dernier groupe est similaire aux joueurs que j’affronte dans une équipe National 4. En N2 où l’échiquier féminin perdure, il y a globalement un peu plus de fortes joueuses qu’auparavant en N3, mais il reste de fortes disparités.

Quand je joue à l’échiquier féminin, le but n’est pas totalement sportif. Je le fais d’abord pour rendre service à mon club. Ce n’est pas désagréable : j’aime l’ambiance et j’apprécie de côtoyer les joueurs de l’équipe. Mais une bonne ambiance, des gens sympas, je peux trouver ça ailleurs. Si je suis inscrite dans un club d’échecs, c’est avant tout pour jouer aux échecs, même à mon petit niveau. Et pour ça, l’échiquier féminin en N2, ce n’est pas satisfaisant. Il y a deux ans j’ai par exemple fait avec le club un déplacement en N2 à 180 kilomètres de Paris. En arrivant, j’apprends que l’équipe adverse n’a pas sa joueuse habituelle, elle est remplacée in extremis par une gamine qui n’a pas joué depuis trois ans (elle préférait faire du violon). Juste avant de déclencher la pendule, elle me demande « le cavalier, ça se déplace bien comme ça ? » Une heure après je la mate avec deux dames contre une tour. Ensuite j’attends que les parties du reste de l’équipe soient terminées, et comme pour les autres c’est de la vraie Nationale 2, c’est trèèèèèès long. Et puis on refait 180 kilomètres dans l’autre sens.

Bien sûr, ce jour-là, j’ai gagné un point pour l’équipe, j’ai regardé de belles parties et tout le monde était très sympa… Mais est-ce que je n’aurais pas pu faire quelque chose de plus intéressant de mon dimanche ? Est-ce que jouer en N4 n’aurait pas été plus profitable d’un point de vue sportif ? On nous présente l’échiquier féminin comme une façon de promouvoir les femmes, mais en fait dans les clubs, on a plutôt la sensation que c’est nous demander un service : on nous dit « on a besoin de toi en N2 », on nous remercie d’être venue jouer… Dans les clubs où il n’y a pas tellement de femmes (c’est à dire la plupart des clubs) il est parfois difficile de refuser cette charge parce qu’il n’y a personne d’autre. Il m’est arrivé d’accepter un déplacement en province le week-end alors que j’avais travaillé de nuit dans la semaine. C’était l’horreur, j’étais épuisée, j’ai évidemment perdu mes parties. Quand la FFE cherche à obtenir (notamment grâce à la charte des clubs féminins) que les femmes aient plus de responsabilités dans les clubs en devenant capitaine ou arbitre, il faut qu’elle se rende compte que c’est contradictoire avec l’échiquier féminin : en N2 et au-dessus, la joueuse, le plus souvent la moins forte de l’équipe, serait mal placée pour être capitaine, ne serait-ce que pour un remplacement ponctuel. Et comment être capitaine d’une autre équipe de Nationale puisque les rondes tombent le même jour ? Pour ma part, je voudrais avoir plus d’expérience en tant qu’arbitre, or quand je joue en N2 je n’ai pas le droit d’arbitrer la rencontre.

Mon club ne va me faire arbitrer que s’ils sont sûrs qu’ils n’auront pas besoin de moi en N2 ce jour-là et j’ai récemment dû refuser un arbitrage rémunéré dans un autre club pour ne pas « lâcher » la N2 qui n’aurait pas pu me remplacer. Au fil des ans je vois de plus en plus cette mesure comme une contrainte et, en dehors de mon cas personnel, je ne pense pas qu’elle ait fait bondir le nombre de joueuses dans les clubs. J’aimerais beaucoup qu’elle soit abandonnée pour trouver d’autres solutions pour amener les joueuses vers la compétition, peut-être par exemple une licence A moins chère la première année pour les personnes qui n’en ont jamais prise.

Compétitions féminines
J’ai été plusieurs années capitaine d’une équipe de N2F (division plancher de l’interclubs féminin). J’ai aussi été capitaine, l’année dernière, d’une équipe en coupe de la Parité, une compétition où les équipes se composent de deux hommes et deux femmes. Je prends mon rôle au sérieux, j’essaye de parler avec mes joueuses et mes joueurs à l’avance, de savoir à quel échiquier ils se sentent le mieux, de leur faire sentir qu’ils font parti d’une équipe. Il y a des joueuses qui font peu de compétition dans mon équipe féminine, qui sont assez angoissées par les « parties sérieuses », j’essaye les mettre à l’aise.

On insiste souvent sur le fait que les compétitions féminines sont sympathiques et conviviales. C’est vrai, c’est sympa. L’ambiance est agréable, la buvette est souvent meilleure que celle des autres tournois, et on a parfois des cadeaux. Mais le fait de ne parler que de cet aspect donne l’impression qu’il ne s’agit que d’une compétition « pour s’amuser. » Qu’on vient pour passer une journée entre copines et boire du thé en poussant du bois. Ce manque de considération envers les compétitions féminines, je l’ai aussi vu au niveau Ligue. La première fois que j’ai voulu faire un stage théorique d’arbitrage, il n’y avait pas de place pour celui où je voulais m’inscrire, mais la Ligue a proposé au président de mon club une autre date qui leur semblait « idéale car il s’agit d’un week-end où il n’y a aucune compétition. »

En fait il y avait juste la N2 Féminine, ça tombait bien, j’étais capitaine d’équipe. Cette année j’ai appris le 22 décembre que la phase ligue de la N2F serait en mars prochain. La plupart des autres compétitions sont indiquées dès le mois de juin sur le calendrier de la Ligue mais pas la N2F. Il m’arrive de travailler le week-end à des dates calées en juin pour toute l’année, j’essaye de poser des dates qui me permettent de participer aux compétitions, je ne comprends pas pourquoi les dates de la N2F arrivent si tard.

Je trouve très frustrant que la N2F comme la coupe de la parité, en phase ligue, soient organisées sur une seule journée. C’est dur d’enchaîner trois parties (50min+10s/coup), personnellement j’ai beaucoup de mal à la troisième. Et puis on n’a pas assez le temps de se connaître comme équipe, il y a des joueuses que je ne vois quasiment que ce jour-là. Une autre chose que je trouve très désagréable, c’est que, dans la phase Ligue, on est très souvent un nombre d’équipe impair et dans ce cas, pour éviter les exempts, on joue en Molter. Personne n’aime ça. C’est un système où les équipes sont décomposées en une somme de résultats individuels et où les joueurs d’une même équipe ont des adversaires de différentes équipes. Il n’y a plus de stratégie d’équipe, plus de « si tu fais nul on gagne le match », plus de match, juste des parties individuelles. Or si on vient jouer par équipe c’est pour jouer en équipe. Ce système démotivant est très courant dans les compétitions féminines auxquelles j’ai assisté, ainsi qu’en Coupe de la parité, il faudrait trouver un moyen de s’en débarrasser, par exemple en imposant un nombre d’équipe pair avec pénalité financière pour les forfaits d’équipe de dernière minute.

A force d’insister sur le côté convivial, j’ai l’impression qu’on oublie l’essentiel : on est là pour jouer. Imaginer que les femmes jouent aux échecs avant tout pour être entre copines, papoter, et recevoir des cadeaux dans certaines compétitions, c’est aussi réducteur que d’imaginer que les hommes viennent au club pour parler foot et roter entre deux bières. Je sais que je ne serai jamais professionnelle, mais même si je joue en amateur, je veux faire de vraies parties et essayer de gagner. En tant que membre d’une équipe, je veux sentir un esprit d’équipe, je veux lutter pour un enjeu, me battre pour quelque chose. Je ne m’amuse pas dans une équipe qui n’en est pas une, qui n’est pas soutenue par le club, ou quand je fais de la figuration, si je ne viens que pour « rendre service. » Et j’ai l’impression que c’est le cas pour la plupart des joueurs que je connais, hommes ou femmes, quel que soit le niveau.

Bienvenue dans un monde d’hommes

La charte pour le label club féminin demande à ce que les clubs concernés aient des toilettes propres. Quand je fais lire ça à des amis qui ne jouent pas aux échecs ils en rient. Ils n’en reviennent pas qu’on doive préciser un truc aussi évident. Moi, ça ne m’amuse pas, et je ne trouve malheureusement pas ça trivial. Les choses se sont un peu arrangées au fil du temps, mais quand j’ai commencé à jouer, je veillais à toujours avoir sur moi des mouchoirs en papier pour les déplacements à l’extérieur car souvent les clubs manquaient de papier toilette. Lors des fins de tournois sur plusieurs jours où le ménage n’est pas fait quotidiennement j’hésite à aller aux toilettes tellement ça peut devenir sale. On va me dire que ce n’est pas l’essentiel des échecs, mais je suis sensible aux infections urinaires et je n’ai pas envie de devoir courir chez mon médecin après chaque tournoi, c’est tout.

C’est sûr que ça forme le caractère d’avoir à arpenter dignement, la tête haute, le couloir qui va de la salle de jeu aux toilettes, un rouleau de papier pioché dans la réservé à la main, parce que dans les sanitaires de la maison des associations où se tient le match il n’y en a pas. Ou encore de passer entre deux rangées de mecs face à des pissotières pour se rendre aux toilettes, le regard sur la ligne bleue des Vosges. Sauf que moi j’ai 38 ans, et je me dis à chaque fois qu’à 10 ans, dans la même situation, j’aurais paniqué.

Bien sûr, dans ces cas-là, on peut accuser la configuration des lieux, l’absence de toilettes femmes, le gymnase qui n’emploie pas de personnel de ménage le weekend… Mais il y a aussi une question d’éducation. Il m’est arrivé deux fois de voir des joueurs se soulager sur le mur extérieur d’une salle de jeu et il est courant d’en voir finir de fermer leur braguette dans le couloir pour rejoindre plus vite leur table. (Ils ne savent pas qu’il faut se laver les mains ? Ils vont toucher les mêmes pièces que moi ??) Dans les gros tournois, je veille toujours à obtenir, si ce n’est pas prévu au départ, que des toilettes soient clairement réservées aux femmes. J’ai eu un organisateur qui, pour éviter les problèmes, avait verrouillé la porte des toilettes femmes, on passait prendre la clef sur le bureau de l’arbitre, c’était tranquille. Aux championnats de Paris il y a quelques années les organisateurs avaient affiché « toilettes femmes » sur la porte de l’un des sanitaires (un espace avec lavabos, toilettes fermées et pissotières.) On y trouvait régulièrement des hommes, alors que passaient à côté d’eux des gamines de 12 ans. Ils se justifiaient par « Mais, s’il y a des pissotières, c’est pour les hommes ! » Alors les organisateurs ont été obligés de condamner les pissotières avec des sacs en plastique. Je fais aussi du Taekwondo, sport dont les pratiquants sont majoritairement masculins. Je n’y ai jamais vu personne avoir besoin de marquer son territoire comme ça, je n’ai jamais vu ces problèmes-là.

On va me dire que c’est trivial et que je suis une horrible prude. Et que bien sûr, le problème vient d’une minorité de joueurs. Mais ça crée un climat : le sentiment d’arriver dans un monde d’hommes, un monde où il est normal de pisser ou de fermer sa braguette en public. Je suis une adulte, et même si entrevoir la bite de mon adversaire aux toilettes pendant ma partie ne m’amuse pas, j’arrive à prendre sur moi. Mais il y a couramment des enfants dans les tournois d’adultes, et à 10, 12 ou 14 ans, ce genre de choses m’aurait affolée : « est-ce que j’essaye de me retenir au risque d’être complètement déconcentrée ou est-ce que j’y vais au risque d’être gênée et aussi déconcentrée ? » Je dois dire que j’enrage qu’en tant que femmes on se retrouver face à des problèmes aussi triviaux. Ça ne devrait pas exister, ça devrait être évident, c’est une simple question de respect.

Capitaine d’équipe mixte et arbitre
Je suis devenue capitaine d’une équipe mixte parce que j’en avais assez d’être ballotée, de jouer en N2 quand on avait besoin de moi, puis d’être remplacée par une plus forte quand il y en avait. Quand on est capitaine on a des responsabilités et de l’organisation à assurer, mais au moins on a un échiquier quand on veut jouer. Nous jouons en critérium, une compétition de la ligue d’Ile de France où les équipes sont de niveaux elo proches. Je suis devenue capitaine pour gagner en indépendance, mais j’y ai pris goût et je fais les choses aussi bien que possible. La seule fois où ça a fait changer mes rapports avec un joueur, c’était plutôt en bien. Il y avait dans mon ancien club un joueur âgé, chauffeur de taxi parisien à la retraite, qui faisait souvent des blagues un peu lourdes, voire sexistes (pas uniquement avec moi, c’était une attitude générale).

Ça restait dans les limites de ce qu’une fille est malheureusement habituée à encaisser, mais je n’aimais pas ça. Un jour un de mes joueurs m’annonce qu’il ne peut pas jouer le match du lendemain « mais X est libre » me dit-il devant ce joueur. J’ai donc dû accepter, à contrecoeur, et du jour au lendemain, il a complètement changé d’attitude envers moi. Plus de blagues lourdes, plus d’ « humour » sexiste. Je n’étais plus une femme, j’étais sa capitaine. J’ai fait en sorte qu’il rejoue dans l’équipe, ça s’est toujours très bien passé.

C’est une bonne idée que la charte du Label club féminin demande à ce que les femmes soient incitées à prendre des responsabilités telles que le capitanat, tout simplement pour pouvoir prendre elles-mêmes les décisions qui les concernent. Je suis toujours étonnée que dans les compétitions féminines, même dans les divisions plancher, autant d’équipes aient un homme comme capitaine, alors qu’en mixte si peu de femmes le sont. C’est bien que la FFE y incite, mais en même temps, dans une structure associative, ce n’est jamais compliqué d’obtenir des responsabilités.
On est toujours content que quelqu’un veuille se charger de quelque chose, il suffit de demander, et personne ne m’a jamais disputé le capitanat d’aucune équipe. Dans le club où je suis, je connais au moins quatre autres femmes qui sont ou ont été capitaines d’équipes mixtes, y compris peu de temps après être entrées au club.

Je me suis aperçue, en étant capitaine, à quel point j’ai été élevée dans le respect de l’autorité, en particulier de l’autorité masculine. Je crois que tout le monde le sait : on est toujours content qu’une fille soit sage et obéissante, à l’inverse on est fier qu’un garçon prenne des risques même s’il est un peu bagarreur. Aux échecs, il est courant que des gens vous affirment comme vérité d’Evangile des règles qui n’existent pas ou qui existaient mais ont été supprimées. Le niveau où je joue en critérium n’impose pas la présence d’un arbitre. Lors de matchs à l’extérieur, je me suis fait avoir deux fois durant ma première année de capitanat par des capitaines d’équipe adverses qui m’affirmaient des règles fausses (sur la règle des trois répétitions pour faire nulle ou ce qui se passe quand une partie a commencé avec des pièces mal placées). Ils étaient sincères, ils ne tentaient sans doute pas de m’arnaquer sciemment, mais, même si je leur disais que ce qu’ils soutenaient me paraissait douteux, ils ont réussi à me convaincre : ils avaient plus d’expérience, ils ne doutaient pas un instant et moi je n’avais pas assez confiance en moi. Et pourtant ils avaient tort, complètement tort, et j’ai signé les feuilles de match, et je le regrette encore. Je ne peux pas en être sûr, mais je pense que j’aurais eu plus de poids si j’avais été un homme, plus d’assurance, que j’aurais été plus crédible face à eux et que j’aurais mieux fait les choses.

Je me suis dit que je n’allais pas gagner en confiance en moi par magie, alors pour connaître mieux les règles j’ai décidé de devenir arbitre. J’ai commencé par un stage S4, remboursé par mon club, qui concerne les règles de base des compétitions. Depuis, je sais ce que j’ai le droit ou pas de faire, je sais quand l’adversaire m’oppose une règle supprimée depuis trente ans et j’ai beaucoup plus le réflexe qu’avant d’arrêter la pendule et d’appeler l’arbitre. En cas de gros problème dans une rencontre sans arbitre (ce qui n’est plus arrivé) je pense que je serais plus à l’aise car je sais quoi écrire sur la feuille de match. Une fois que j’ai fait mon stage pratique, j’ai pris goût à l’arbitrage et j’ai eu envie de progresser. Je suis devenue AF3 il y a un an. J’ai malheureusement eu peu d’occasions d’arbitrer, pas autant que je le voudrais. Je suis devenue arbitre par plaisir, mais il y a peu, j’ai vu, concrètement, à quel point c’est important qu’il y ait des arbitres femmes. On nous rabâche en effet à longueur de temps le rôle pédagogique des échecs et tout ce que ça apprend aux enfants : le respect de l’adversaire, la prise de décision… Mais veut-on enseigner aux enfants qu’ils vivent dans un monde où ceux qui ont des responsabilités, qui prennent des décisions, sont toujours des hommes ? J’ai compris ça quand j’ai arbitré un tournoi comme arbitre principale pour la première fois. Ce n’est pas un tournoi énorme : une trentaine de joueurs à moins de 2000. Il y a une joueuse qui est dans la catégorie pupillette, elle doit avoir dix ans. Il ne s’est rien passé de spécial à sa table, mais à la fin de la première journée, avant de partir, elle venue me saluer d’une manière un peu formelle, en plantant ses yeux dans les miens, elle m’a sourit et m’a serré la main. C’est la seule personne à avoir fait ça. Et dans ses yeux je suis certaine d’avoir lu la fierté de voir que, pour une fois, c’était une femme l’unique arbitre du tournoi. Je me suis dit alors que j’avais aussi cette responsabilité-là, celle de montrer aux enfants que dans le monde des adultes les femmes on aussi des responsabilités publiques.

Sonia Bogdanovsky

Une opinion sur “Joueuse de club par Sonia Bogdanovsky

  1. bonjour,
    quel témoignage intéressant ! j’avoue ne jamais avoir été témoin de problèmes de toilettes (mais je ne joue qu’en interclubs, nous sommes peu nombreux, et souvent il faut avouer qu’il n’y a pas de femmes) par contre j’ai reconnu certains problèmes qui pour moi ne sont pas inhérents au fait d’être une femme (j’oscille autour de 1600 je suis capitaine de mon équipe et il faut quelquefois « dépanner » l’équipe au dessus, jongler avec les compositions et les règlements qui changent tous les ans, difficile d’instaurer un esprit d’équipe).
    par contre, si un jour je participe à un tournoi dont l’arbitre est une femme, je n’irai pas la féliciter ni « lui serrer la main » car pour moi ce sera normal, je me comporterai comme avec un homme pas de différence.
    PS : des licences gratuites pour les femmes ??? ça ne me plait pas, c’est de la discrimination.

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