Mon expérience dans les compétitions féminines et pourquoi je n’aime que les Olympiades.

Je ne joue plus de compétitions féminines à l’exception des Olympiades quand j’ai la chance d’être sélectionnée en équipe de France.

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The Chess Game – Sofonisba Anguissola

Cette décision s’est faite en plusieurs étapes, disons petit à petit, et elle n’est pas toujours facile à respecter.

Je n’ai jamais aimé jouer contre mes amis, un peu comme tout le monde en réalité. Or, après plus de 20 ans à jouer aux échecs, je m’en suis fait quelques-uns dans le milieu. Dans les opens, le coup de malchance parfois, on tombe sur un pote, on fait nulle ou on fait avec, c’est désagréable mais c’est ponctuel.

Pour une fille, rien à voir. Pendant 10 ans on se côtoie, on apprend à se connaître, on partage le quotidien des tournois et les rires des soirées ensemble. On joue ensemble les opens, on se connait depuis les championnats de France jeunes pour la plupart, on se voit même entre les tournois tant l’amitié se fait forte. Ensuite, on doit se jouer systématiquement trois voire quatre fois dans l’année. Tant que ça ? Vous pouvez aller vérifier dans les bases, vous verrez que je ne mens pas. D’abord, au championnat de France en août, au championnat de France de parties rapides et au Top 12 féminin en mai, au Top 12 tout court en juin, dans un tournoi fermé féminin en juillet de temps en temps et rebelote l’année suivante.

Et bien c’est tout simplement pénible. On essaye d’éviter les prépas, on se connaît par cœur et on fait des choix d’ouverture étranges pour essayer de jouer aux échecs. On est obligées de pencher l’écran de l’ordi parce qu’on dort dans le même appart pendant le tournoi. En plus, chose étrange, on ne fait quasiment jamais nulle, contrairement à nos congénères masculins qui, lorsqu’ils sont très proches et travaillent ensemble, ne font souvent même pas semblant.

Et puis bon, même si on n’est pas amies, on doit jouer et rejouer les mêmes personnes inlassablement. On en devient blasées « je sais même plus que ce que je peux lui inventer cette fois ». On est contentes de se voir mais pas de jouer ensemble. C’est vrai que les compétitions féminines ont ça de chouette, qu’on est sûres d’y revoir tout plein de monde, mais franchement pour le côté sportif on repassera.

Après évidemment chaque compétition est différente et lorsque je parle du Top 12 par exemple il ne s’agit pas d’une compétition féminine en soi mais ressentie comme telle. Justement en ce qui concerne cette compétition, il s’agit en fait d’une sorte de championnat de France bis, avec une pression supplémentaire, celle de ne pas faire perdre l’équipe. L’échiquier féminin, le 8ème, ressemble bel et bien à une compétition à part. Je crois d’ailleurs que la simple évocation du top 12 mériterait un article à lui tout seul. Pour faire vite, on joue 11 parties contre les 11 meilleures joueuses de France ce qui ressemble peu ou prou à la compétition qui se déroule en août sauf qu’il n’y a pas de vase de Sèvres à la fin. Quelques-unes des joueuses ont quand même la chance de ne pas être affectées à cet échiquier de pestiférées et ont alors le droit à une compétition très intéressante. Dans mon cas, j’ai joué dans des équipes fortes et moi-même ne l’étant clairement pas assez, je n’ai pas eu cette chance. Alors, lorsque je vais prendre l’avion pour me rendre à cette compétition, je ne me dis pas « chouette » encore 11 parties intéressantes. Je sais, je sais, vous allez me dire que je me plains alors que je ne peux justement pas le faire : je suis payée et bien d’ailleurs. Mais là je veux juste parler d’échecs, au-delà de l’aspect financier. Car oui, au fait, si je joue aux échecs c’est parce que j’aime ce jeu et non parce que j’aime l’argent, je crois qu’on a trop tendance à oublier ce détail lorsqu’on parle des femmes. Et pour finir sur les joies de cette compétition, il faut se taper tous les commentaires machistes : « l’échiquier féminin c’est comme l’échiquier petit poussin », « on n’a qu’à jeter une pièce pour décider du résultat », « de toute façon elle va encore craquer »…

Je continue sur cet aspect sportif, maintenant qu’on est là. Regardons un peu les meilleures joueuses du monde. Je trouve ça louche, qu’avec leurs heures d’entraînement et leur fréquence de jeu, elles n’arrivent pas à décoller des 2500 ou 2550. Elles sont moins fortes que les hommes ? Qu’elles jouent contre des hommes pour qu’on puisse l’affirmer. Si on regarde des opens comme Gibraltar, il faudrait vérifier mes dires (un article est cours de rédaction à ce sujet) mais je serais prête à parier que la majorité de ces filles font une performance supérieure à leur Elo. Mais quand elles jouent 150 parties de suite contre les mêmes filles (c’est vérifié !), elles se piquent juste les points Elo entre elles. C’est ce fameux plafond de verre qu’on a déjà évoqué plusieurs fois dans nos articles. Il est vrai que financièrement elles s’en sortent bien, elles peuvent vivre de leur passion, elles sont bien représentées médiatiquement. Ce n’est pas l’enfer donc, je ne me permettrais pas de tenir un tel discours mais je suis persuadée, qu’au niveau échecs, cet enfermement dans un circuit de compétitions féminines est plutôt pernicieux et ne favorise pas leur progression (au moins de l’Elo).

Cependant il y a une compétition que je continue à jouer avec plaisir, ce sont les Olympiades (je n’ai pas eu la chance de jouer le championnat d’Europe par équipe). J’ai eu deux fois la joie d’être sélectionnée et dans les deux cas ça a été une expérience incroyable. Il y a d’abord le lieu, la chance de voyager dans des pays et dans des villes où je n’aurais jamais eu l’opportunité d’aller (Tromsö et Baku !) ; il y a le côté festif de l’événement : on a l’impression de participer à un grand moment de l’Histoire, un peu comme les Jeux Olympiques. Et puis on représente son pays, ça a quelque chose de flatteur malgré tout. Je ne suis pas nationaliste pour un sou, mais ce mélange de centaines de nations est émouvant. On partage aussi le quotidien avec de très grands joueurs, on danse même avec eux à la Bermuda Party. Je trouve aussi que ça donne la chance à des femmes de pays moins égalitaires que le nôtre d’accéder à une certaine émancipation. Enfin on a la chance d’être suivies et préparées à fond par un entraîneur qui a à cœur de donner le meilleur de lui-même. On joue des filles certes, mais la plupart je ne les connais pas, je ne les ai jamais jouées et je les considère comme des joueuses d’échecs avant tout. Certes, cela reste d’une certaine manière discriminatoire puisqu’on sépare hommes et femmes, mais disons que je le vois comme moins pesant que les autres compétitions qui nous sont réservées. Sans doute parce que ça m’arrange de le dire, c’est vrai…

Bref, j’ai arrêté de jouer la quasi-totalité des compétitions qui ne me faisaient pas ou plus vibrer. Je ne joue plus le championnat de France, pas même le rapide, je refuse les fermés féminins, j’essaye de privilégier les opens en général, avec mes amis, en bonne compagnie. Je ne suis pas invitée la plupart du temps, je paye comme tout le monde, même mon inscription parfois et franchement je me sens mieux. J’ai l’impression de m’approcher un peu plus de mes convictions même si ce n’est pas toujours évident à soutenir financièrement.

 

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