Lors du débat entre les trois candidats à l’élection présidentielle FFE, j’ai eu le plaisir de rencontrer diverses personnes, notamment des joueurs du Val d’Oise et en particulier Christophe Paquin, président du club d’échecs Ermontois. Je vous laisse découvrir un texte de sa main, décrivant ses interrogations et ses états d’âme mais aussi les choix, les décisions et les prises de position de l’ensemble du comité du CDJE de ce département en faveur de la mixité des championnats départementaux jeunes. Ce texte est suivi d’un commentaire rédigé à 6 mains par la famille Tamburro sur le même sujet.
Dans le même ordre d’idées, nous avons le très grand plaisir de relayer également un article du club d’Echecs M-échecs, suite aux qualifications jeunes d’Ile de France, malheureusement non mixtes et pour ceux que le sujet intéresse et n’ont pas peur des débats :post France Echecs
Il va sans dire que l’association E&M! se réjouit des choix effectués par le CDJE-95 et espère que dans un proche avenir, de très nombreux CDJE feront le même choix. Nous soutenons évidemment aussi les appels à la mixité des championnats de Ligue et ce, depuis les débuts de notre association. Merci à vous, messieurs, ensemble, nous y arriverons.
La question était : « Quel cheminement nous a conduits aux modifications de règlement [des championnats départementaux jeunes] effectuées cette année ? »
Pour ma part : J’ai eu la chance en consultant les sites d’échecs que je fréquente habituellement de tomber sur une remarque d’une personne qui parlait de votre site, alors récemment créé. Toujours à l’affut de nouveaux sites intéressants, je suis allé lire les derniers articles postés. J’ai trouvé cela intelligent, très bien argumenté et de surcroit très bien écrit (rare par les temps qui courent). J’ai particulièrement été ému par un article de Mathilde Congiu (une ancienne de notre club, même si je n’étais pas alors présent dans ce club lors de ses premiers exploits) décrivant parfaitement comment elle s’était laissée enfermer sans se rendre compte de rien, dans un système où l’absence de mixité lui a fermé les portes d’une carrière encore plus brillante que celle qu’elle réalise actuellement. D’autre part ayant moi-même une fille, âgée actuellement de 15 ans et joueuse d’échecs (à un modeste niveau), cela m’a permis de prendre encore plus conscience des épreuves que peuvent rencontrer les femmes dans notre sport.
On peut dire que cela a été un déclic qui m’a fait réaliser que même à mon petit niveau, on pouvait œuvrer pour changer ce lamentable état de fait. Puis une coïncidence assez extraordinaire lors de l’assemblée départementale suivante, a permis de mettre à l’ordre du jour la fin de la non mixité dans nos championnats départementaux. En effet, Julien Clarebout, « célèbre » arbitre AF1 de notre département m’a devancé en proposant de mettre fin à la non mixité des compétitions organisées dans le département. Un de ses arguments était de dire que, puisque le changement ne venait pas du « haut » (la F.F.E.), il fallait l’initier par le « bas » (les comités départementaux). Dès lors, la discussion était lancée et lors de l’assemblée générale de ce début d’année, le comité, à une très large majorité, a voté la mise en place de la mixité pour les championnats départementaux jeunes qui ont eu lieu le 13/11/2016 à Ermont. Le débat a été très rapide et la décision, aisée à prendre. Par contre il a fallu réfléchir aux conséquences induites parc ces changements. En effet il était nécessaire de prendre en compte le fait que les championnats régionaux organisés par la ligue ne sont pas mixtes. Le problème des qualifiés devait donc être pris en compte. Nous avons donc décidé de conserver le système de qualification des autres années à savoir la non mixité pour les qualifiés. Nous sommes convenus que nous entrions dans une période de transition nécessaire afin que justement grâce à cette mixité, le niveau général global des jeunes filles rejoigne celui des garçons même si les résultats de cette année (et des années précédentes également) ont montré que la ségrégation ancienne n’avait aucun sens.
Pour les joueuses et les parents, c’est dans la grande majorité des cas un sujet d’étonnement qu’il puisse exister, dans notre sport, des championnats différents selon le sexe. De mon expérience, c’est encore plus vrai pour les personnes qui ne jouent pas aux échecs avec qui j’ai pu aborder le sujet. La stupéfaction et l’incrédulité sont même les réactions les plus souvent ressenties par ces personnes. A vrai dire, je n’ai pour le moment rencontré qu’une seule personne opposée à notre décision. Cet entraineur, très charismatique, et adoré par les jeunes a beaucoup œuvré pour le développement des échecs chez les jeunes dans notre département (et même au-delà). J’étais donc curieux de connaitre ses arguments. Il m’a ainsi expliqué que notre décision était une grave erreur. En effet pour lui le fait de mixer garçons et filles dans nos championnats était susceptible de dégouter les très jeunes joueuses. Par nature plus timides et moins combatives, elles réagiraient mal à l’agressivité masculine lors de leurs confrontations. De plus le phénomène serait amplifié à cause de la différence de niveau actuel.
Quelle suite à donner à ces premiers changements ?
– Nous allons continuer à militer pour que ces changements initiés par les départements remontent aux instances de la ligue puis de la fédération.
– Nous supprimerons ou militerons pour la suppression des prix féminins dans les tournois du Val d’Oise. (Chose faite lors du tournoi organisé par le club d’Échecs Ermontois ce 15 Janvier 2017)
L’objectif d’avoir des championnats jeunes mixtes au niveau de la ligue est à mon sens atteignable en assez peu de temps puisque plusieurs départements en région parisienne sont déjà mixtes.
Christophe Paquin
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Bonjour à tous,
Si je suis globalement d’accord avec le constat, je serais cependant plus modéré sur les diagnostics et remèdes à apporter au problème…
Après en avoir discuté avec Laurence et Clémence davantage concernées et impliquées que moi sur la question, ayant de plus des éléments de comparaison garçons/filles à la maison, je peux dire que le sujet me semble plus complexe que ça.
En effet, si je soutiens la démarche qui consiste à pratiquer la mixité au sein des compétitions je pense cependant qu’il faut conserver (au moins un certain temps) les classements féminins.
POURQUOI ?
Pourquoi je suis favorable à la mixité des compétitions ?
– Parce que la mixité des compétitions permettra aux meilleures joueuses de rivaliser avec des adversaires plus forts et variés elles pourront effectivement davantage exprimer tout leur potentiel et progresser.
– Parce que (même si ça évolue au fil des générations) les garçons ont aussi besoin de joueuses qui forcent le respect pour juguler un mépris latent mais encore trop souvent présent.
Pourquoi je pense qu’il faut encore maintenir les classements féminins ?
– Parce que, qu’on le veuille ou non et quelles qu’en soient les raisons, c’est un fait les échecs intéressent moins les filles alors si on veut en garder en dehors de celles qui rivaliseront au plus haut niveau il faut quand même qu’elles y trouvent quelques motivations…
– Parce que les supprimer serait le meilleur moyen d’exclure aujourd’hui la plupart des filles des compétitions de haut niveau et ce n’est pas le but recherché. Les filles qui ont la chance d’y participer se trouvent être de retour dans leurs clubs des ambassadrices du jeu.
Après pour en revenir à la mixité dans sa globalité au sein des échecs, il me semble que la première des priorités serait de supprimer les compétitions exclusivement féminines (interclubs féminins, championnat féminin rapide…). Il est assez paradoxal que ceux qui se veulent les premiers défenseurs de cette mixité y participent cautionnant ainsi la discrimination filles/garçons.
Pour autant il ne faut pas se voiler la face, ces compétitions comme les échiquiers réservés au sein des équipes permettent aux jeunes filles de trouver reconnaissance et avantages au sein des clubs qu’elles n’auraient pas autrement. Et ces éléments sont aussi des facteurs de progression : un club qui a besoin de féminines mettra des moyens pour les former et les faire progresser. Sans doute n’auraient-elles pas le même accueil, les mêmes opportunités et le même niveau sans cela.
Tout cela pour dire que le problème est difficile et qu’il serait bon de ne pas aller trop vite !
Une mixité totale aujourd’hui signerait peut-être la désaffection de nombreuses jeunes filles. Nous y gagnerions sans doute une élite quelque peu féminisée mais probablement des rangs clairsemés dans les niveaux intermédiaires qui tendraient encore à se dégarnir par le manque de « copines »…
C’est la raison pour laquelle, personnellement je militerais plus pour une mixité progressive :
Un mixage des compétitions comme nous l’avons fait pour donner leur chance aux meilleures mais des classements pour valoriser les autres et étoffer notre vivier jusqu’à ce qu’on ait la preuve que les filles dans leur globalité (et non quelques exceptions) peuvent autant que les garçons s’intéresser – et malheureusement les interventions de masse en milieu scolaire tendent à démontrer le contraire…
Amicalement,
Laurent Tamburro, aidé de Laurence et Clémence
En Haute-Savoie les championnats départementaux jeunes sont également mixtes et sur les 5 catégories 2 ont été cette année remportées par des filles alors qu’elles étaient nettement minoritaires démontrant une fois de plus que les joueuses n’ont rien à envier aux joueurs pour ce qui est de bien jouer aux échecs.
Je rajoute que je suis globalement d’accord avec Laurent Tamburro, il ne devrait plus y avoir de compétitions féminines mais plutôt que des prix féminins (au rabais) je pense qu’il serait plus positif de bien choisir les visuels pour la communication autour des échecs, montrer qu’il y a des filles dans les clubs, dans les compétitions et faire évoluer l’image du jeu. Dans les clubs, les compétitions mixtes, les filles aiment se retrouver entre-elles de la même façon que les garçons aiment se retrouver entre-eux. Elles aiment retrouver des copines et plus les joueuses sont nombreuses et plus c’est facile. Ces liens sociaux expliquent, bien avant l’intérêt pour un jeu au caractère martial et qui semble fait pour les garçons (l’explication est simpliste), la présence ou non des joueuses dans les clubs et les compétitions.
N’hésitons pas donc à donner une image féminine du jeu dans les photos et illustrations que nous utilisons sur nos sites web, pour les affiches de tournois, dans la presse, etc.
Ici dans le Rhône les championnats sont mixtes depuis plusieurs années (idem chez les adultes où je n’ai jamais vu de championnat féminin en cadence lente) et cette année pas de titre mais 2 podiums, et quelques Top 10, ce qui prouverait que les filles ne sont pas exclues par ce système.
La bonne question à se poser serait : pourquoi les filles ne continuent pas même dans des départements où les compétitions ne sont pas mixtes ??? Pourquoi dans ma catégorie sénior je vois aussi peu de femmes en interclubs ou en tournois ???
PS : pas de commentaire sur Hou Yifan et la mixité à Gibraltar ?
Bonjour David,
Effectivement dans le Rhône la dernière distinction mixte/féminine date des championnats jeunes benjamins mixte et benjamines de 2013. Mais à ma connaissance, cela n’a pas résulté d’une modification consciente en faveur de la mixité (à la différence de la Ligue du Lyonnais, dont le cas avait été mentionné sur ce site).
Pour vos deux questions suivantes, ce sont effectivement des questions extrêmement intéressantes, mais auxquelles il est difficile de répondre précisément – faute d’études sur la question – même si chacun évidemment peut avoir des hypothèses.
En ce qui concerne Gibraltar, je peux vous livrer mon avis personnel, qui n’a pas été discuté au sein de l’association. Apparemment les appariements sont bien normaux, il s’agirait d’une simple coïncidence mathématique si Hou a rencontré autant d’autres joueuses. Sa réaction a été, à mon avis, peu professionnelle mais ce n’est pas la première fois que je vois un-e joueur-se de ce niveau avoir une réaction peu professionnelle (bien pire, d’ailleurs : les reprises de coups de Kasparov, le Toiletgate de Topalov, la contestation d’homologation d’une partie par Short (contre Hou d’ailleurs), etc.). Et enfin, je peux comprendre la frustration d’une joueuse – qui vient enfin de s’extraire du système des échecs féminins – à se retrouver à nouveau appariée contre principalement des femmes. Il y a quand même de quoi « péter un câble ».
Bonjour,
Merci pour votre réponse, en fait j’étais surpris au début de votre silence à propos de Gibraltar mais je comprends que vous cherchiez plus à agir (localement) qu’à commenter l’actualité internationale (le comble pour moi étant bien sûr le championnat du Monde féminin en Iran)…
bonne continuation
Cette saison les championnats de la ZID Dauphiné-Savoie sont également mixtes. Ils sont en cours ce week-end et pour l’instant les filles, minoritaires, ne déméritent pas et font souffrir les garçons.
Ca vient de se terminer, les résultats sont éloquents :
Minimes :
18 participants, 5 filles, la première est 11ème
Benjamins :
17 participants, 3 filles qui font 4ème, 5ème et 17ème
Pupilles :
27 participants, 6 filles, la première est 2ème
Poussins :
25 participants, 9 filles, la première fait 3ème, une autre fait 6ème et une troisième 9ème
Petits-poussins :
16 participants, 5 filles, les filles font 3, 5, 7, 9, 12
On voit donc que si les filles sont moins nombreuses et sont normalement réparties dans le classement et ne se montrent pas moins douées que les garçons.
Éloquents, en effet. Merci pour ce retour 🙂