Les quatre listes de décembre en marche

La campagne pour l’élection présidentielle (à la FFE) a officiellement débuté avec la parution des listes de candidatures (que vous retrouverez ici, accompagnées des programmes des candidats). Nous vous invitons vivement à lire ces quatre professions de foi avec attention, afin de vous faire une opinion personnelle. Dans la suite du texte, nous ferons référence à ces listes et programmes par les abréviations DO (Dornbusch), ES (Escafre), IA (Iasoni) et KO (Kouatly).

L’association Échecs & Mixte ! a procédé à une rigoureuse analyse de texte de ces pages. Espérant pouvoir apporter une pierre constructive aux débats qui s’annoncent, nous vous livrons ci-dessous nos commentaires. Il s’agit de discuter ouvertement de nombreux points qui nous paraissent importants dans le cadre de cette élection qui fait suite à des événements exceptionnels pour la fédération. Dans cette optique, nos commentaires dépassent quelque peu le cadre des buts de l’association car nous n’avons pas la prétention de croire que la seule question de la mixité soit vitale pour l’avenir de la FFE.

Commençons tout d’abord par quelques faits et chiffres, toujours têtus, comme on va le voir. Les statuts de la FFE, votés dernièrement, stipulent que : « Chaque liste se présentant à l’élection doit comporter 24 candidats éligibles et six suppléants, dont un nombre minimal de 25% de personnes de chacun des deux sexes lorsque la proportion de licenciés de l’un des deux sexes est inférieure à 25 %, ou de 40% lorsque cette proportion est supérieure ou égale à 25 %, conformément à l’article L. 131‐8 du Code du Sport. Pour garantir cette représentation, chaque liste doit comporter un nombre égal de personnes de chacun des deux sexes dans les 12 premières places. » (article 5.6.2). Il va sans dire que les listes ayant été validées par la commission de surveillance des opérations électorales, cela signifie que ces prescriptions ont été suivies à la lettre par les quatre candidats. Notons cependant que 25% de 24 personnes cela fait 6. Une liste ne présente que le minimum requis de femmes (KO), tandis que les trois autres listes affichent un total de 8 femmes pour 24 places (soit 33% de femmes). De plus, deux listes alignent les six femmes obligatoires aux rangs 2, 4, 6, 8, 10, et 12 (ES, KO) et une autre les a placées presque aux même rangs (IA, la place de 8ème est devenue 9ème) alors que la liste restante les a installées plutôt en fin de parcours (DO, rangs 2, 7, 8, 9, 10 et 11). Libre à vous d’y voir comme une redite de la fameuse question de la « féminine obligatoire ».

Signalons que les listes DO et KO ne respectent pas la consigne d’un texte de programme « n’excédant pas une page recto-verso » car la première, en plus d’un texte d’une double page, renvoie à une déclaration de candidature sur youtube et au site d’Echecs & Stratégie et l’autre directement au site de campagne et à une page facebook : dans les deux cas, on est loin de la double page recto-verso ! Nous n’approuvons pas cette singularisation, les auteurs se considérant en quelque sorte comme des candidats « à part » et attirant les lecteurs vers leur site pour obtenir la profession de foi. Nous sommes étonnées que la commission de surveillance des opérations électorales de la FFE ait accepté de s’en faire le relai et que les deux autres candidats n’aient pas protesté.

Pour revenir aux « textes-programmes » (les fameuses pages recto-verso des listes DO, ES et IA, et la page Web obtenue via le lien indiqué pour la liste KO), nous avons vu se dégager les thèmes communs suivants, que nous aborderons tour à tour : les finances, le choix de la masse et/ou de l’élite, les relations entre les différents niveaux de la fédération (national, ligues, comités départementaux et clubs) et les finalités du site web fédéral. La question d’une politique visant à augmenter le nombre de joueuses, ainsi qu’à élever leur niveau moyen est malheureusement peu évoquée, malgré les protestations de bonne volonté de certaines listes. C’est particulièrement regrettable, aussi exposerons-nous quels sont à notre avis les points essentiels à modifier dans ce secteur.

 

Les finances

Comme cela a été dit et répété, le bilan financier de la FFE laisse à désirer, c’est même une des raisons qui ont entrainé ces élections prématurées. La liste DO annonce un audit externe des finances de la FFE et se fait répondre par la liste ES que cette opération est coûteuse et qu’il vaut mieux s’appuyer sur « les compétences reconnues de la commission de contrôle économique et de gestion ». Il y a là deux visions très différentes du bilan comptable de la FFE car prévoir un audit externe, c’est clairement considérer que ladite commission n’a pas su remplir sa tâche. A tout le moins, il serait sans doute nécessaire de comprendre comment la FFE en est arrivée à cette débandade financière sans qu’aucun garde-fou économique n’ait fonctionné, histoire de remettre d’aplomb le mécanisme.

La liste KO commence par une annonce fracassante : l’obtention d’une subvention annuelle de 260 k€. De quel(s) généreux mécène(s) et sous quelles conditions, mystère mais toujours est-il que la répartition de cette manne est détaillée, si bien que la liste KO est bien la seule à proposer un budget, au moins partiel. Pour le reste, trouver de nouveaux sponsors ou encadrer les dépenses en ne les autorisant que dans la limite des fonds disponibles n’est que l’expression du bon sens le plus élémentaire.

 

La masse vs l’élite : faut-il choisir ?

Commençons par une remarque générale : Pour chaque fédération sportive, le choix entre « l’élite » et « la masse » est cornélien et ce dilemme est également vécu par les présidents de club : c’est la masse qui paye les cotisations mais c’est l’élite qui assure la notoriété et, il faut bien l’admettre, une partie des subventions, quand bien même financer l’élite coûte souvent très cher. Bref, il n’y a sans doute pas moyen de trancher le nœud gordien.

Sur cette épineuse question, la liste ES reste prudente en déclarant vouloir « favoriser chaque façon de pratiquer le jeu d’échecs », sans surtout plus de détails, tandis que les listes DO et KO semblent plutôt faire un choix : « s’adresser au plus grand nombre » (DO) ou « poursuivre la promotion du haut niveau » (KO). Toutefois, une lecture attentive montre que ces choix n’en sont pas. En effet, le texte DO cite également, dans le cadre de « la promotion des échecs loisir » « le soutien financier des joueurs et joueuses de l’équipe de France, sans oublier les séniors, les féminines et les jeunes ». L’effet fourre-tout est accentué lorsque l’objectif du « développement des échecs pour les enfants et à l’école » comprend comme point n°4 « les échecs dans les maisons de retraites et les EPAHD » (qui, soit-dit en passant, sont des EHPAD, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). De même, on trouve dans le programme de la liste KO, en renfort, si l’on peut dire, de la poursuite de la promotion du haut niveau, « garantir les championnats de France adultes et jeunes », qui sont principalement des événements de masse, n’en déplaise au candidat, et « soutenir les commissions vétérans et séniors et scolaires ».

Avant de se lancer dans des effets de manche, peut-être serait-il sage de définir d‘abord et avant tout ce que l’on entend par « masse » et « élite » ? La première est-elle en dessous de 2200 Elo ou 2350 Elo ou n’importe quel chiffre tiré au hasard ? La seconde peut-elle être limitée aux membres des équipes de France ? Et s’il n’y a pas de masse, y aura-t-il une élite (et vice versa) ? Ou bien ces deux catégories se définissent-elles au travers des activités qui leur sont destinées ? Les participant-e-s des Nationaux sont l’élite, même quand un 2300 ou une 2000 y participe. Un jeune à 1800 Elo fait partie de la masse quand il joue aux championnats de France adulte, mais de l’élite quand il est sélectionné pour les championnats du monde jeunes.

 

Relations entre fédération, ligues, CD et clubs

Avec les fusions de ligues pour correspondre aux nouvelles régions, la question des relations entre ces ligues et la fédération ainsi que les rôles dévolus à chacun est bien évidemment un point central et le clivage français traditionnel entre pouvoir régalien et décentralisation se retrouve dans les programmes. La liste DO prévoit d’être le « moteur principal » du développement des clubs, en se chargeant en particulier de relayer les activités des clubs dans la presse. Les rôles, droits et devoirs des comités départementaux et des ligues ne sont pas même esquissés. A l’inverse, les trois autres listes (ES, IA et KO) penchent clairement pour une répartition des tâches, l’élaboration d’un projet faisant la part belle aux organes déconcentrés, avec une revalorisation du rôle des comités et une politique « bottom-up », des initiatives des clubs vers les réflexions de la FFE (liste ES). L’écoute et la discussion sont au centre des préoccupations de la liste IA tandis que la liste KO va un cran plus loin en offrant un emploi de référent aux ligues, dédié au soutien logistique des clubs.

A chacun de se positionner en fonction de ses sensibilités propres sur un sujet de politique générale qui est aussi vieux que la république française. Il nous semble qu’il faut savoir balancer entre les deux extrêmes : la FFE a (peut-être) mieux à faire que de contacter le « canard local » pour qu’il relate par le menu le tournoi de blitz de Trifouillis les Oies et, d’un autre côté, les initiatives locales, du fait justement de leur niveau local ne sont pas toujours transférables au niveau national : typiquement les relations clubs-mairie pour les NAP (nouvelles activités périscolaires). Quant à la proposition de postes de référents dans les ligues, s’il s’agit de postes aidés très peu qualifiés et dont les titulaires vont changer tous les ans ou tous les deux ans pour que l’aide perdure, nous ne voyons pas bien comment cela permettrait d’engager un travail de qualité sur le long terme.

 

Finalités du site web fédéral

Deux des listes (DO, KO) insistent sur l’idée de moderniser le site web fédéral en proposant des contenus interactifs à destination des adhérents (zone de jeu, cours, etc.). Cela ne nous semble pas une bonne idée dans le sens où ces fonctions sont déjà assurées par un très grand nombre d’autres sites, fort bien faits, souvent gratuits, disponibles sur tous les types de support et s’exprimant dans une multitude de langues. Bref, à espérer que cet objectif soit atteint, le site fédéral ne deviendrait alors qu’une plateforme parmi d’autres et n’offrant rien de mieux. De plus, un grand nombre de clubs se plaint de la désertion des joueurs au profit du jeu en ligne. Un tel site fédéral remanié contribuerait à cette désertion plutôt qu’à faire revenir les joueurs dans les clubs.

En ce qui concerne la proposition de fournir des vidéos pédagogiques pour les animations scolaires ou de clubs (DO), il faut faire attention à la relation entre ces vidéos et les animateurs. Dans le secteur pédagogique en général, l’arrivée des vidéos va souvent de pair avec l’idée de diminuer la présence humaine auprès des apprenants. Par ailleurs, qui va décider de la qualité des dites vidéos ? Si c’est la même personne que celle qui a installé le dessin animé proposé sur le site de la liste DO (voir le bandeau de droite du site Chess&Stratégie, section « vos articles préférés », titre : « les 10 principes sur les ouvertures aux échecs »), dont on appréciera en quelle haute estime il tient les femmes (oups ! pardon … les féminines, en novlangue), ça promet !

 

Politique envers les joueuses

Le premier point peut sembler de peu d’importance – et s’il l’est, il sera d’autant plus facile à mettre en place ! – mais il n’est pas si anodin qu’on pourrait le penser : Il s’agit de supprimer le terme « féminine » des règlements et autres textes officiels et de le remplacer, selon les contextes, par les termes « joueuse », « femme » ou « fille ». En effet, cet adjectif, ici utilisé en tant que substantif, outre d’être une licence grammaticale douteuse, est d’un ridicule achevé, qui frise le mépris : répétez donc à haute voix : « les équipes de nationale I doivent comporter au moins un masculin français », rien que pour voir quel effet ça fait.

Ensuite nous souhaiterions que le détail précis du budget du secteur féminin soit publié afin que les adhérents puissent avoir une vision claire de l’importance des lignes budgétaires attribuées activités par activités.

Notre revendication phare est toujours la mixité des championnats jeunes. Il est urgent de s’engager dans cette transformation afin de relever le niveau de nos jeunes joueuses et de leur permettre de se construire comme les égales de leurs camarades garçons. Rien de tel que ces emblématiques et symboliques championnats pour marquer un tournant psychologique. Ce changement peut se faire progressivement, par exemple en généralisant la mixité dans les championnats départementaux et de ligues (où elle est déjà présente de façon inégale sur le territoire) et en se préoccupant d’une catégorie d’âge à la fois, des plus jeunes aux plus âgées.

Enfin, il nous semble important d’engager une réflexion sur les autres aspects du secteur (en vrac, la « féminine obligatoire », l’incitation faite aux clubs d’organiser des tournois féminins, l’obligation de participer aux interclubs féminins pour les clubs de Nat.1 et top12, le Trophée Roza Lallemand, etc). Cette réflexion doit être menée en intégrant dans une discussion contradictoire les différents points de vue sur ces questions.

 

Aude Soubrier et Isabelle Billard

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