Proposition alternative à la `féminine obligatoire’

Mes réflexions sur la mixité aux échecs ne s’arrêtent pas aux championnats de France jeunes. Dans mon expérience de joueuse d’échecs, la question de la mixité est aussi fondamentale en ce qui concerne les interclubs. La volonté de pousser à la mixité est à mon sens une excellente chose. Pourtant j’ai longtemps été mal à l’aise avec la règle de la (et donc mon statut de) `féminine obligatoire’. Dans la première partie de ce texte, j’avance quelques inconvénients de la règle actuelle. Dans la deuxième partie, je propose une règle alternative. Enfin, le fichier excel joint à la fin du texte facilite le calcul de la règle alternative.

Principaux inconvénients à la règle de la `féminine obligatoire’

  • la règle actuelle introduit un statut spécial (le statut de `féminine obligatoire’) qui n’est pas forcément apprécié des joueuses
  • les `féminines obligatoires’ stabilisées dans les clubs jouent d’année en année contre les mêmes adversaires (beaucoup plus que leurs coéquipiers masculins)
  • les forfaits (et donc la privation de jeu, en plus des déplacements inutiles) les touchent plus que leurs coéquipiers
  • les équipes sont mixtes mais les parties ne le sont pas puisque les femmes jouent majoritairement entre elles au 8ème échiquier et les hommes majoritairement entre eux du 1er au 7ème échiquier
  • les déplacements sont parfois très lourds pour un niveau de jeu éventuellement égal à celui des compétitions régionales ou départementales
  • la relative mixité due à cette règle se fait au détriment de la socialisation des joueuses entre elles, puisqu’elles sont dispersées dans les différentes équipes d’un club (il est plus difficile de jouer avec ses amies)

Cette règle a également des effets qu’on peut juger bénéfiques : Aurélie Dacalor

  • elle a peut-être permis d’augmenter le nombre de joueuses
  • les joueuses côtoient des joueurs plus forts
  • les meilleures joueuses bénéficient d’un revenu quasiment assuré

Le `pourcentage obligatoire de joueuses’

Ma proposition alternative vise à augmenter la proportion de joueuses dans les interclubs, tout en annihilant les effets négatifs de la `féminine obligatoire’.

Cette règle alternative s’applique au niveau de l’ensemble des équipes d’un club engagées dans les interclubs, du top12 aux départementales, et non au niveau de chaque équipe.

En début d’année, chaque club déclare le nombre d’équipes engagées, le nombre d’échiquiers et le nombre de rondes à jouer pour chaque équipe, ce qui permet de calculer le nombre de parties devant être jouées par ce club. Par exemple, pour un club ayant une équipe en nat. 3 et une équipe en départementale, cela fait (8 éch. x 9 r.)n3+(4 éch. x 7 r.)dep=100 parties.

La règle du pourcentage obligatoire consiste en ce qu’un certain pourcentage de ces parties doivent être jouées par des femmes (peu importe la division). Je propose de réguler ce pourcentage en fonction de l’importance du club. Par exemple :

  • clubs avec une seule équipe et/ou 20 licences A ou moins : 0% (clubs exemptés du pourcentage obligatoire),
  • clubs avec 100 parties ou moins à jouer : 5%,
  • clubs avec 101 à 300 parties à jouer : 7,5%,
  • clubs avec plus de 300 parties à jouer : 10%

Prenons deux exemples concrets avec la saison 2012-2013 de mon propre club Lille EDN et du club de Hyères.

Le premier tableau comptabilise les parties jouées par ces deux clubs au cours de la saison 2012-2013. C’est sur ces données (prévisibles en début de saison) que se base le calcul déterminant le nombre de parties devant être jouées par des femmes.

EquipesEchiquiersRondesParties par équipes
Lille EDNN181188
N38972
N48756
N48756
Rég.4728
Rég.4728
Dép.4624
Total des parties jouées352
HyèresN38972
N48648
N48756
Dép. 14728
Dép. 24728
Total des parties jouées232

 

Le deuxième tableau indique le pourcentage de parties qui devraient être joué par des femmes dans les deux clubs ainsi que le pourcentage effectivement joué par des femmes.

Lille EDNHyères
Nb. licenciées A classées827
Nb. de parties jouées352232
Dont jouées par des femmes3246
Nb. de `féminines obligatoires'21
Pourcentage visé10% 7,5%
Pourcentage effectif9% 20%
Objectif atteintnonoui

 

A partir de ces tableaux, on observe que la réussite (ou la moindre réussite) des clubs à faire participer les joueuses aux interclubs n’est pas du tout proportionnel au nombre de `féminines obligatoires’ jouant pour ces clubs. Alors que la règle actuelle impose à Lille EDN deux féminines obligatoires, seuls 9% des parties sont jouées par des femmes. Par contre, alors que la règle actuelle impose à Hyères une seule féminine obligatoire, 20% des parties sont jouées par des femmes. La règle actuelle et la réussite des clubs à faire jouer des femmes ne sont donc pas du tout corrélés. Autrement dit, la réussite de Hyères n’est pas reconnue d’un point de vue officiel, alors que la moindre réussite de Lille EDN est survalorisée. A l’inverse, la règle alternative que je propose rendrait compte directement et de manière transparente de la réussite des clubs à faire participer les joueuses aux interclubs.

A la fin de l’année, on compare donc l’objectif de chaque club avec le résultat final. Les clubs n’ayant pas réalisé l’objectif sont sanctionnés. On peut imaginer les sanctions suivantes :

  • sanction symbolique : publication des résultats des clubs ((Selon les cas, il s’agit soit une sanction symbolique soit une approbation symbolique, voire une louange symbolique.))
  • sanction sportive : l’équipe 1 du club fautif ne peut monter en division supérieure ou est rétrogradée
  • sanction financière (à laquelle je ne suis pas du tout favorable)

Ce système rencontrerait sans doute des difficultés techniques, mais à mon avis rien d’insurmontable. La gestion des objectifs en début d’année et du contrôle en fin d’année peut être effectuée par un logiciel informatique, voire une simple feuille Excel (jointe à la fin de cet article).

Par rapport aux inconvénients de la `féminine obligatoire’ :

  • les joueuses auraient exactement le même statut que les joueurs ; c’est-à-dire qu’elles seraient intégrées aux équipes exactement de la même manière que leurs coéquipiers masculins, selon leur niveau et leurs affinités
  • la mixité serait effective non seulement au niveau des équipes mais aussi sur l’échiquier

Par rapport aux avantages de la `féminine obligatoire’ :

  • cela augmentera tout autant, voire plus, le nombre de joueuses : le système est même beaucoup plus souple puisqu’il suffit d’augmenter petit à petit le pourcentage obligatoire
  • par contre, les meilleures joueuses ne bénéficieraient plus du même niveau de revenu. Mais il est tout à fait imaginable de conserver la règle de la féminine obligatoire pour le top12 uniquement. Ou encore de mettre en place un système de soutien financier à l’élite féminine indépendant du système des `échecs féminins’.

Cette règle aurait également des avantages pour les clubs :

  • il est plus facile de convaincre une débutante de se lancer dans la compétition quand celle-ci est adaptée à son niveau et proche géographiquement
  • et, enfin, cela permettrait de reconnaître les efforts des clubs dans la formation `de masse’ des joueuses

Un inconvénient éventuel de cette règle serait qu’elle ne mettrait pas forcément fin à l’actuel `marché des joueuses’ – bien qu’une joueuse débutante compterait autant pour le respect de la règle qu’une joueuse confirmée. Pour atténuer cet inconvénient, il faudrait que les sanctions non symboliques ne s’appliquent pas lors de la (ou des) première(s) année(s) de la règle. Ainsi, les clubs auraient le temps de mettre en place une politique en faveur des joueuses sans avoir à `piquer’ les joueuses des clubs voisins. Le rôle de la fédération serait de les conseiller sur les mesures à mettre en place.

Feuille excel permettant de calculer facilement le nombre de parties devant être jouées par des femmes selon la règle du pourcentage obligatoire : pourcentage_obligatoire

Aurélie Dacalor

4 opinions sur “Proposition alternative à la `féminine obligatoire’

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