Comment ne pas draguer dans un tournoi d’échecs

Du 27 juin au 4 juillet 2015, se déroule dans la charmante bourgade de Villard de Lans l’Open international d’échecs organisé par le club d’échecs auquel je suis inscrite, l’échiquier Grenoblois. Je participe au tournoi en tant que simple joueuse et le premier jour, j’ai demandé au président du club l’autorisation -qui m’a été donnée- d’afficher sur le panneau prévu pour les annonces diverses le petit texte qui va avec le bulletin d’adhésion à Echecs & Mixte !, parce que je suis aussi présidente de cette association. J’ai ajouté à la main sur la feuille que pour tout renseignement supplémentaire, les personnes intéressées pouvaient s’adresser soit à Fabien Libiszewski, dans le tournoi A ou à moi-même, dans le tournoi B.

Suite à cela, un joueur, dont je tairai le nom par charité, est venu me voir avec un grand sourire en me lançant : «S’il y a des jolies filles dans cette association, je veux bien m’inscrire». Je crois que j’ai dû faire une drôle de tête et le président de mon club, qui nous connaissant l’un et l’autre, veillait sans doute au grain, s’est précipité, pour calmer le jeu et, s’adressant à mon interlocuteur, a dit : « Fais gaffe, tu vas peut être jouer contre elle un de ces jours ! ». Ce à quoi notre trublion, qui décidemment n’en ratait pas une, a rétorqué, ravi: «Ahhhh…. Je vais être obligé de la laisser gagner alors…».

Je n’ai strictement aucun sens de la répartie, ressemblant en cela à Jean-Jacques Rousseau, qui se désolait de lui-même en notant qu’il faisait « d’excellents impromptus à loisir »(1). Ainsi, pour toute réponse, ai-je poussé un gros soupir bien appuyé et tourné les talons. Fin de la première ronde. Plus tard, reprenant le match interrompu et comme si cela ne suffisait pas, notre gai-luron de service, toujours rayonnant, vient me dire : «Je suis désolé, ce n’est pas ça que je voulais dire, je ne suis pas du tout comme ça, en fait, c’est parce qu’on ne se connait pas». Je l’ai regardé d’un air incrédule et je me suis éclipsée. Depuis, il parait qu’il dit à tout le monde que «Je lui fais la tête et qu’il ne comprend pas pourquoi.» (sic).

Analysons un peu ce que justement, ces quelques phrases veulent bien dire, non pas d’une personne en particulier, mais d’une tournure d’esprit. D’abord, comme un écho à un de mes précédents billets d’humeur qui parlait entre autre, de Molière, nous retrouvons une sous-variante de «Sois belle et tais-toi, comme tu es incapable de jouer correctement aux échecs, si tu me bats, c’est forcément que je t’ai laissé gagner, je suis quelqu’un de formidable». De fait, cela n’est ni élégant, ni galant, et je vous ai déjà dit ce que je pensais de ce genre de raisonnement: pitoyable. Ensuite, attardons-nous sur la tentative de rattrapage aux branches de mon interlocuteur: pour résumer, il a le droit de dire des énormités à la limite de l’insulte, ce n’est pas grave, on efface tout et on fait comme si de rien n’était. Figurez-vous que je ne vois strictement aucune raison d’être d’accord. Pour finir et pour forcer le trait, je note que c’est tout de même curieux, cet intellectuel de haut vol qui adoOore jouer les beaufs, surtout avec les gens qu’il ne connait pas, histoire de lier connaissance et qui s’étonne après que l’on n’ait pas envie de nouer de relations avec lui. S’il veut que je change d’avis sur sa petite personne, il va lui falloir travailler un peu plus son argumentaire.

En conclusion, je dirais que bien que l’association Echecs & Mixte ! ait des buts à mon humble avis élevés et humanistes qui n’ont pas grand-chose à voir avec les leçons de savoir-vivre élémentaire qui font apparemment défaut à ce joueur, ces échanges verbaux me font dire qu’Echecs & Mixte ! a aussi été créée parce qu’il y a (trop) de gens de ce style. A tous ceux qui s’expriment ainsi, il faut dire et redire, calmement, posément mais fermement, qu’ils ne sont ni drôles, ni fins, ni spirituels, ni charmants, ni charmeurs, bien au contraire et qu’on ne se grandit pas en tenant de tels discours, qui ne sont pas anodins.

 

Isabelle Billard

(1)    Jean-Jacques Rousseau, les confessions, livre III.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.