Corse toujours !

Poursuivant mon inspection des chiffres d’adhésion de la FFE en fonction du temps et par âge, genre, ligue et licence, je voudrais reprendre là où je m’étais arrêtée la dernière fois, à savoir les politiques de ligues, du moins telles qu’elles transparaissent des données chiffrées brutes.

Rappelons tout d’abord les conclusions du petit exercice de comptabilité élémentaire que j’avais mené et que je vais compléter ci-dessous par les données maintenant disponibles pour la saison 2013/2014, qui sont loin d’être inintéressantes, comme vous allez le constater : Les résultats globaux de la FFE indiquent une progression nette du nombre de licenciés sur la période qui va de la saison 2008/2009 à la saison 2012/2013 (de 53840 à 63097, soit une augmentation relative de près de 15 % et plus de 9000 adhérents supplémentaires) mais chutent brutalement pour 2013/2014 en redescendant à 58491. Ceci correspond à une perte de 4606 licenciés en une année, c’est-à-dire quasiment la moitié du gain des années précédentes en une saison, ce qui n’est pas banal. Dans le même temps, le ratio F/H s’est (légèrement) amélioré d’abord, passant de 23/77 à 24/76 pour baisser à la dernière saison : 22/78 (chiffres arrondis à l’entier).

Je vous passe les détails de mes déductions Holmesiennes pour en arriver au résultat : ce notable accroissement correspond aux efforts de chaque ligue, avec des disparités évidentes comme le montrait mon tableau précédent, tandis que cette étrange évaporation, qui a touché relativement plus les femmes que les hommes tient à peu près à l’action de la seule ligue corse : de 5819 licenciés en 2012/2013 cette ligue passe abruptement à 369 pour 2013/2014 (dont une seule licence B, une pupillette !), soit une chute de 5459 adhérents. Nous avons là même plus que les 4606 licences qui manquent à l’appel. Il n’est pas dans mon propos de revenir, détailler ou discourir sur les raisons qui ont poussé la ligue corse à ne plus inscrire ses joueurs à la FFE : ceci dépasse très largement le cadre de la question de la mixité et mènerait à des débats sans doute sans fin. Ceux que cette question intéresse trouveront sur le web moult sites pour s’informer et participer au débat.

Si nous recentrons notre propos sur ce que peut une politique de ligue, et donc la ligue corse en particulier jusqu’en 2012/2013, force est de constater une augmentation des licences A de 21% et de 18% pour les licences B, augmentation concentrée surtout de ppou à pup pour ces deux licences. Le pourcentage de femmes a sensiblement augmenté en licence A (de 25 % à 29%), tout en restant proche des données globales de la FFE -quoique supérieur- tandis que ce pourcentage féminin est resté remarquablement stable et élevé en licence B : 47 %. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour expliquer ces chiffres, d’autant que plusieurs communiqués sur le site de la FFE ou ailleurs se sont fait l’écho des choix et des réussites de la ligue corse : Les écoles primaires sont une cible privilégiée des clubs, qui animent des cours d’échecs par classes entières et licencient en B tous les élèves, sauf ceux qui ont voulu prendre directement une licence A. De là les cohortes de gamines et gamins, quasiment équilibrées en genre puisque les écoles de la république ne font pas de ségrégation genrée et que la population française est elle-même quasiment équilibrée de ce point de vue (1).

Les chiffres détaillés ci-dessus devraient être un éloge à l’action de la ligue corse : plus de jeunes, qui sont l’avenir de toute discipline, plus de féminines, ce dont je ne peux que me réjouir… mais … comme disait un certain Lannister, c’est ce qui vient après le « mais » qui est important. Le devenir au cours du temps de ces jeunes recrues est tout simplement désespérant : de la saison 2008/2009 à la saison 2012/2013, elles ont vieilli de 4 ans, ce qui fait que les ppou sont devenus des pup, les pou de l’époque des min et les pup des min. Ces enfants, globalement, sont passés du primaire au collège, les plus âgés étant maintenant au lycée. Je suis bien d’accord que « la valeur n’attend pas le nombre des années » mais toujours est-il que « ô rage, ô désespoir, que n’ont-ils tant vieilli que pour cette infamie ! ». Pratiquement tous ces enfants ont disparu des licenciés corses. Il ressort des données FFE que les 769 pupH et 648 pupF de 2008/2009 (licences A et B) ne sont plus que 44 minH et 10 minF en 2012/2013 (2). Ces chiffres des populations de minimes ne diffèrent pas notablement de ce qu’ils étaient en 2008, ce qui veut dire que les efforts de recrutement au primaire et que ce ratissage systématique efficacement organisé n’ont pas permis de fidéliser une population supplémentaire. En réalité, plus de 98% des fillettes ont quitté le monde des échecs corses, contre 94 % des garçonnets, des statistiques qui ressemblent étrangement à celles de la FFE dans son ensemble ou de la Fédération Royale Belge (voir le texte de Sandra Roubin).

De deux choses l’une : ou bien tous ces enfants ont déménagé à l’étranger, accompagnés de leurs parents, entre le primaire et le collège et n’ont pas renouvelé leur licence FFE ou bien, plus prosaïquement, et comme je l’analysais précédemment sur les chiffres globaux de la FFE, les enfants ne jouent pas ou plus aux échecs entre 12 et 18 ans et encore moins les filles que les garçons. Les efforts actuels de la ligue corse n’ont pour l’instant aucun effet à long terme sur le nombre d’adhérents. Il faudra encore attendre un peu pour savoir si le passage obligé par les cours d’échecs en primaire donnera envie à ces jeunes, une fois devenus adultes, de s’inscrire au club de leur ville (ou au contraire, agira comme un repoussoir, en souvenir de cette obligation jugée rébarbative, qui sait) mais le suivi sera délicat, compte tenu des déplacements de population qui s’opèrent avec les études d’abord puis avec l’installation dans la vie professionnelle. En conclusion, quand bien même la ligue corse n’inscrirait plus ses membres à la FFE (3), je peux espérer, sans en être sure, que ceux-ci se retrouveront peut-être d’ici 5 ans au plus tôt, à Lille ou à Grenoble. L’exemple de cette ligue fournira peut-être les chiffres maximum de population potentiellement intéressée durablement par les échecs, suivant un discours, une formation et un accueil encore très orientés vers les hommes uniquement. Rien de bien neuf sous le soleil corse, par conséquent.

 (1) Atlas mondial des femmes, Isabelle Attané, Carole Brugeilles, Wilfried Rault, éditions Autrement.

(2) La discipline mathématique qui traite de ces phénomènes, ici appliquée aux données FFE, s’appelle l’étude des processus markoviens. Merci à mon collègue le Pr. P. Désesquelles pour un séminaire fort intéressant qui m’a offert une ouverture sur le sujet :

http://www.iphc.cnrs.fr/+Seminaire-presente-par-Pierre,363+.html

(3)    Qu’on se rassure, les corses sont de retour, du moins en partie, dans le giron de la FFE en cette saison 2014/2015, comme le prouvent les listes d’inscrits du 2e Open International de Porticcio : (http://www.echecs.asso.fr/Resultats.aspx?URL=Tournois/Id/34158/34158&Action=Ls)

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