Sophie Aflalo et la mixité des Championnats de France jeunes

Courte introduction

Quand j’ai soumis ma candidature à la Commission des Féminines en mai 2013, ma lettre de motivation indiquait : « je considère qu’il est primordial de valoriser la mixité et surtout auprès des jeunes, notamment en supprimant les championnats jeunes féminins » au profit de championnats exclusivement mixtes.

Mes opinions en entrant dans cette commission étaient donc on ne peut plus claires. Une fois entrée dans la commission, j’ai interrogé quelques joueuses et animé une soirée de discussion sur le thème de la mixité à l’Open de Sélestat en février 2014.

Suite au compte-rendu de cette soirée à la commission féminine, j’ai reçu de la présidente de la commission la réponse suivante : « Faisons bien attention de ne pas dénigrer les mesures prises par la FFE en faveur des femmes qui sont plutôt bien acceptées par une bonne majorité d’entre elles ! »

Je suis peut-être paranoïaque, mais j’ai quand même un tout petit peu interprété cette réponse comme un refus de toute discussion des mesures actuelles. Les joueuses d’échecs sont têtues : l’objectif n’a pas été abandonné et vous connaissez la suite, la pétition, la fin de non-recevoir de la FFE, la création de l’association, etc.

Aujourd’hui nous publions – avec l’accord des personnes concernées, bien sûr – les propos recueillis : ici ceux de Sophie Aflalo.

Sophie Aflalo, alors 19 ans et 2091F

Championne de France féminine en petites-poussines (2002 & 2003), poussines (2004) et minimes (2011)

Bonjour Sophie, tu étais cette année (2014) la seule joueuse à participer aux championnats de France mixtes (en catégorie juniors) et je voulais savoir ce que tu penses de la séparation mixte/fille dans les championnats jeunes.

Bonjour, je dois avouer que ça me fait très plaisir que quelqu’un s’y intéresse… Étiez-vous sur place ?

Je pense que la séparation mixte/fille (qui au final équivaut plus à garçons/filles) est le meilleur moyen pour qu’une fille prometteuse dans sa catégorie dès un jeune âge stagne le plus longtemps possible. C’est l’exposer au moins de concurrence possible, en confinant le « combat » à un cercle aussi restreint que celui de l’effectif féminin clairement sous-représenté aux échecs.

Peut-être que la question vous intéresse sur un plan général et plutôt philosophique mais je vais quand même rentrer dans quelques considérations pragmatiques, spécifiques au domaine échiquéen.

Je me souviens par exemple de mon premier championnat d’île de France (qualificatifs) en petites poussines. Les garçons de mon club que je considérais comme difficiles à battre (et qui ont d’ailleurs été champions de France par la suite) avaient des difficultés à se qualifier dans leur tournoi tant la concurrence était rude. De notre côté, le tournoi s’était, je crois, effectué en un « toutes rondes », forcément générateur de moins de compétition.

Dans les championnats de France ensuite, le schéma que j’ai connu était quasi systématiquement le même (à partir de benjamine disons) : 2 ou 3 concurrentes à 2000 elo à peu près et une marge de 200 points élo à partir de là. Chez les garçons, il me semble que le peloton s’étend à plus de 2 ou 3 concurrents. Mais surtout, les outsiders sont nombreux à plus de 2000. Ils ont donc à priori un niveau qui correspond à un minimum tactique et théorique qui motive les favoris à travailler pour surpasser ce niveau de base. En revanche le niveau à 1800 qu’on observe chez les outsiders dans les catégories juniores, cadettes, minimes filles etc… n’oblige pas nécessairement les favorites à 2000 environ à travailler.

Pour ma part, j’arrivais très peu préparée aux championnats de France mais j’arrivais pourtant avec le statut de « favorite ». Cela se passait quasiment tous les ans tandis qu’en revanche, durant cette période, j’ai vu beaucoup, beaucoup de garçons que je connaissais et avec qui j’avais de la marge (j’étais pratiquement 2000 élo entre le passage de poussine à pupillette) me dépasser. Je pense (et peut-être que j’extrapole) que chez les garçons la concurrence générée lors de l’échéance annuelle des championnats de France (ou des qualificatifs) crée un état d’alerte qui motive à travailler le long de l’année (même si ce n’est pas de façon régulière).

Un autre point est que l’illusion est flatteuse lorsqu’une fille qui vise le titre l’obtient, que celle qui vise les 10 premières places se hisse sur le podium, ou qu’une fille qui vise la qualification d’office la décroche, mais le fossé qui se creuse peu à peu entre catégories mixtes et féminines vient non seulement remettre en question la valeur de l’exploit achevé mais aussi réduire les possibilités des filles sur le long terme : à trop jouer chez les filles, même les meilleures deviennent inadaptées pour jouer chez les garçons.

Quant aux solutions, je pense qu’un unique championnat mixte devrait être organisé et que l’équipe de France devrait envoyer, en tant que représentante féminine aux championnats du monde et d’Europe, la fille qui s’est le mieux classée. Le titre de championne de France, attribué à la fille la mieux classée, serait du reste directement relativisé par le classement au général.

Enfin je pense que la séparation fille/mixte pousse à intérioriser l’idée d’une différence de niveau fondamentale entre garçon et fille et (pire) crée le contexte via lequel les filles qui se refusent à intérioriser cette idée n’ont plus les moyens de prouver le contraire dû au manque de travail accumulé sur des années.

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